Dans le sud du Tchad, les producteurs de coton "abandonnés" espèrent un changement avec le scrutin du 6 mai/ Photo: AFP

Sous une chaleur écrasante, Déclador Rimleldeoudje se faufile dans son champ entre des milliers de tiges qui, espère-t-il, se métamorphoseront en centaines de kilos de coton, l'or blanc de cette région du sud du Tchad, dont la culture est aujourd'hui menacée.

A l'entrée de son village de Kagtaou, à une soixantaine de kilomètres de Moundou, la "capitale" du Sud fertile, une gigantesque benne débordant de coton n'a toujours pas été achetée par la société semi-privée CotonTchad et les pluies, imprévisibles, font craindre aux cotonculteurs de perdre leur récolte avant leur achat.

"Le coton, ça nous plaît mais c'est trop difficile, (... ) nous n'avons pas un climat stable. C'est un handicap. Cela joue sur le tonnage", explique cet agriculteur de 24 ans, dont les bénéfices ont été divisés par trois depuis la précédente récolte.

A Kagtaou, tout le monde ou presque vit du coton. Mais de plus en plus se découragent, touchés de plein fouet par les effets du changement climatique et les conflits ancestraux entre éleveurs et agriculteurs.

C'est pourquoi certains voient dans l'élection présidentielle de lundi l'occasion inespérée de faire entendre leur voix: le Premier ministre Succès Masra, un sudiste comme eux, apparaît de plus en plus en position de trouble-fête face au général Mahamat Idriss Déby Itno, proclamé président il y a trois ans par l'armée.

Changement climatique

Dans le sud du Tchad, les producteurs de coton "abandonnés" espèrent un changement avec le scrutin du 6 mai

"Les manifestations du changement climatique", qui entraînent des "irrégularités pluviométriques tantôt marquées par des périodes de sécheresse ou d'inondations sporadiques" entraînent notamment des "baisses énormes de la production", explique le climatologue à l'Université de N'Djamena Laohote Baohoutou.

Elles ont aussi exacerbé les ancestraux conflits agropastoraux, selon lui.

Ils opposent éleveurs nomades venant des zones arides sahéliennes du nord aux cultivateurs autochtones sédentaires du sud. Les premiers faisant passer ou paître leurs troupeaux dans les champs des seconds, ou bien leur disputant la propriété de certaines terres.

Au moins 23 personnes ont été tuées fin mars en sept jours d'affrontements et ces combats, fréquents, n'épargnent ni femmes ni enfants.

A cela s'ajoute, les destructions causées par les pluies diluviennes. Selon l'ONU, les inondations de 2022 ont ravagé plus de 350.000 hectares de cul tures et fait périr 20.000 têtes de bétail, laissant "la partie sud du pays la plus durement touchée".

"Ca nous décourage", soupire Déclador, "J'ai l'impression que le sud n'est pas compté sur la carte du Tchad (...), il n'y a pas d'aides".

Depuis avril, le continent africain fait face à des phénomènes climatiques extrêmes: dans l'Ouest, des vagues de chaleurs dépassant 48°Celius; dans l'Est des pluies diluviennes aux conséquences meurtrières notamment au Kenya et en Tanzanie.

"Oubliés par le pays"

#MEX71 : Presidential election

Autrefois l'un des secteurs les plus florissants de l'agr iculture tchadienne, le coton a vu sa part dans le PIB et les exportations se réduire comme peau de chagrin, de 2,15% des exportations en 2015 à 0,7% en 2020, selon la Banque mondiale.

Lundi pour la présidentielle, c'est derrière Succès Masra, le seul capable "d'apporter l'aide" que se rangera Jean Benaudji, le président de l'association villageoise des cotonculteurs de Kagtaou, "abandonnés, oubliés par le pays" selon lui.

Le scrutin présente une configuration inédite dans ce pays d'Afrique centrale: le général Déby, proclamé président par l'armée pour succéder à son père tué par des rebelles, affronte le Premier ministre qu'il a lui-même nommé le 1er janvier dernier, l'ex-opposant Succès Masra.

Même si l'opposition l'accuse de "traîtrise" et d'être le "vernis démocratique" d'une élection "jouée d'avance" pour Déby, il prend de l'assurance au fil d'une campagne rassemblant des foules importantes, notamment dans le sud, fief de l'opposition.

Ses promesses de "justice et égalité" séduisent de nombreux cotonculteurs désoeuvrés qui ne bénéficient d'aucune compensation lorsque leur champ est détruit par du bétail ou des intempéries.

"La devise qu'il a donnée au parti:+justice, égalité et paix+, c'est ça que je recherche et c'est pour ça que je le soutiens", affirme Déclador en esquissant un sourire.

AFP