La démocratie fait un retour fort en Somalie après 56 ans

La région somalienne de Banadir, qui comprend la capitale Mogadiscio, s'est rendue aux urnes le 25 décembre pour la première fois en 56 ans par le biais d'un vote populaire direct.

By Abdulkadir Mohamed Nur
La capitale somalienne vote pour la première étape vers le rétablissement du suffrage universel / Reuters

Bien que le processus électoral des administrations locales en Somalie ait débuté le 25 décembre, ce développement représente bien plus qu’une simple date électorale. Il marque un tournant historique qui a permis au public de se rendre directement aux urnes après plusieurs décennies.

Avant le coup d’État militaire de 1969, la Somalie était considérée comme l’un des systèmes politiques les plus démocratiques et pluralistes d’Afrique.

Entre 1960 et 1969, le pays a organisé des élections multipartites libres ; le parlement fonctionnait efficacement et le pouvoir politique a changé de mains pacifiquement. Le débat renouvelé aujourd’hui sur des élections fondées sur le principe « une personne, une voix » est en réalité la poursuite de cet héritage démocratique resté inachevé durant cette première période républicaine.

La région du Banadir, qui comprend la capitale Mogadiscio, a voté le 25 décembre pour la première fois en 56 ans par suffrage direct.

Cette élection ne se distingue pas comme un simple scrutin local ordinaire, mais comme la première étape concrète visant à renforcer la représentation démocratique en Somalie.

Cette démarche démontre clairement et avec force l’engagement de la Somalie envers un système électoral fondé sur le principe « une personne, une voix ».

Lors de ce scrutin local, plus de 1 600 candidats, issus de 20 partis politiques, se sont affrontés pour représenter la volonté populaire dans 16 unités administratives locales de la région du Banadir.

La grande majorité des candidats étaient des jeunes. Ce constat montre clairement que l’avenir de la Somalie est en train d’être façonné par une nouvelle génération, plus jeune.

Le jour du scrutin, environ 5 000 agents de bureau de vote formés ont été mobilisés dans les centres de vote, tandis que 10 000 personnels de sécurité ont été déployés simultanément pour veiller à ce que le processus se déroule pacifiquement, en toute sécurité et dans l’ordre.

Les employés des bureaux de vote et les électeurs étaient majoritairement de jeunes Somaliens. Cette scène reflète non seulement le fort enthousiasme des jeunes pour l’avenir de leur pays, mais montre aussi que l’espoir en l’avenir de la Somalie repose en grande partie sur cette nouvelle génération.

Comment le processus a été mis en place

Pendant 56 ans, les Somaliens n’ont pas pu choisir librement ceux qui les gouvernent. À la suite du coup d’État mené par Siad Barre en 1969, la vie politique multipartite a pris fin.

Barre a suspendu la constitution et a dirigé la Somalie pendant de nombreuses années par un pouvoir personnel. Durant cette période, le public a été privé de toute influence significative et le peuple somalien a été exclu des processus de décision politique.

Cette période, qui a duré jusqu’en 1991, n’a pas apporté la démocratie au pays. Au contraire, l’État somalien s’est effondré et le pays est devenu, aux yeux du monde, un foyer de conflits interclaniques, de seigneurs de guerre, de famine et de pauvreté. Chaque ville est passée sous le contrôle de clans, de groupes et de chefs de guerre différents.

Dans les années 2000, alors que la communauté internationale commençait à s’impliquer en Somalie, des administrations de transition ont été mises en place.

Parmi ces mécanismes, le modèle de représentation fondé sur les clans, connu sous le nom de système « 4,5 », est resté en usage. Ce modèle avait été conçu comme un compromis temporaire pour rassembler une Somalie fragmentée.

En 2012, la création de la République fédérale de Somalie et l’adoption d’une constitution provisoire ont constitué un tournant important. La même année, le président Hassan Sheikh Mohamud a été l’un des premiers dirigeants à formuler publiquement l’objectif d’institutionnaliser l’État et de passer à des élections directes.

Cependant, les menaces sécuritaires, en particulier la présence de l’organisation terroriste Al-Shabaab, ont empêché la réalisation de cet objectif à court terme.

Les élections fondées sur le principe « une personne, une voix » prévues pour 2016 et 2020 ont été reportées en raison de lacunes techniques et de désaccords politiques.

Pendant ces années, la politique en Somalie s’est davantage organisée entre élites qu’à travers la volonté populaire. Le système électoral a été instrumentalisé par différents pays et l’urne est devenue non un droit, mais une promesse sans cesse ajournée.

Malgré cela, la capacité électorale a été progressivement renforcée. Des commissions électorales ont été créées, des partis politiques enregistrés et des projets pilotes lancés au niveau local.

Réélu président en 2022, Hassan Sheikh Mohamud, malgré toutes ces difficultés, a lancé un système fondé sur le vote populaire direct lors des élections locales et a montré une détermination ferme à étendre ce modèle aux élections présidentielles. Pour cette raison, les élections locales tenues dans la région du Banadir ne se limitent pas aux seules administrations locales.

Elles sont considérées comme la première étape concrète des efforts de la Somalie pour mettre fin à plus d’un demi-siècle de silence démocratique. Elles sont aussi perçues comme le jour où une aspiration longtemps attendue du peuple est enfin devenue réalité.

Bâtir l’avenir

La condition fondamentale pour que la Somalie puisse construire un avenir stable et durable est d’assurer la participation directe de son peuple aux processus politiques.

Les élections fondées sur le principe « une personne, une voix » représentent non seulement le droit d’aller voter, mais aussi un mécanisme essentiel permettant au public de se prononcer sur son propre avenir. Cette participation constitue un seuil critique dans la transformation politique et sociale de la Somalie.

Les processus électoraux façonnés par la volonté directe du peuple contribuent à reconstruire le lien de confiance entre l’État et la société.

Des élections transparentes et inclusives renforcent la légitimité de ceux qui exercent le pouvoir tout en préparant le terrain à la formation d’un consentement social dans la prise de décisions politiques. Pour une société longtemps exclue des mécanismes décisionnels, ce processus apparaît comme la manière la plus efficace de renouer avec l’État.

Cette légitimité permet également aux politiques de sécurité de reposer sur une assise sociale beaucoup plus solide. Dans la lutte contre le terrorisme, les mesures prises par l’État deviennent plus efficaces et durables lorsqu’elles bénéficient du soutien du public. Parallèlement, la participation populaire à la vie politique renforce la capacité de l’État dans des domaines comme l’économie, la politique étrangère et la gouvernance.

Il devient dès lors un devoir national pour tous les acteurs politiques, qu’ils soient au gouvernement ou dans l’opposition, ainsi que pour les milieux intellectuels, de soutenir ouvertement et résolument les avancées vers la démocratisation.

Annonce d’une nouvelle ère

Seule une volonté politique tirant sa force du peuple peut porter la Somalie vers l’avenir. Pour cette raison, l’ère des tractations à huis clos et des décisions prises sous tente doit prendre fin.

Jusqu’à il y a tout juste trois ans, la Somalie était un pays où des bombes explosaient presque tous les deux jours et où le terrorisme et la peur façonnaient la vie quotidienne. Aujourd’hui, malgré tous les obstacles et menaces, en particulier ceux posés par le terrorisme d’Al-Shabaab, les progrès en matière de sécurité ont permis au peuple somalien de descendre dans la rue et de connaître la joie de voter directement pour la première fois en 56 ans.

Cette situation naissante envoie un message très clair aux responsables politiques somaliens. Le public souhaite désormais faire entendre sa voix, ses opinions et sa volonté sans intermédiaires. Le courage des Somaliens qui se sont rendus aux urnes constitue l’une des initiatives les plus fortes susceptibles de changer le destin de la Somalie.

Parallèlement, les forces de sécurité qui ont assuré la sécurité du scrutin et la Commission électorale qui a permis la tenue des élections dans une atmosphère festive et sans problèmes majeurs méritent de vifs éloges.

À ce stade, la conception d’une politique menée en dépit du peuple cède la place à une recherche d’un gouvernement fondé sur la volonté populaire.

Par conséquent, le processus lancé dans la région du Banadir ne doit pas être considéré comme limité aux seules élections locales, mais comme l’annonce d’une nouvelle ère où la relation entre l’État et la société est en train d’être redéfinie.

L’auteur, Abdulkadir Mohamed Nur, est ministre des Ports de Somalie et a précédemment exercé les fonctions de ministre de la Justice et de ministre de la Défense. Il est diplômé de la Faculté des sciences politiques de l’Université d’Ankara.

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