Le pape visite la Türkiye pour marquer le 1 700e anniversaire du premier concile de Nicée.
La réunion historique ramène une fois de plus l'attention mondiale sur le cœur anatolien du christianisme naissant.
Par Yusuf Kamadan
Lorsque le pape Léon XIV arrivera en Türkiye le 27 novembre pour commémorer le 1 700e anniversaire du premier concile de Nicée, il ne se contentera pas de retracer une route ancienne de l'histoire chrétienne.
Sa visite se situe à l'intersection de la théologie, de la mémoire, de la diplomatie et de l'identité — une reconnaissance que les fondements du christianisme tel que nous le connaissons aujourd'hui se sont formés non pas en Occident, mais dans les villes, vallées et cités d'Anatolie.
Le voyage du pape, qui comprend des rencontres avec des dirigeants turcs à Ankara et une grande cérémonie liturgique à Iznik (Nicée), est déjà présenté comme l'un des déplacements pontificaux les plus symboliques depuis des décennies.
Pour comprendre pourquoi, il faut revenir à la géographie elle‑même. Peu de régions pèsent autant dans l'histoire chrétienne ancienne que l'Anatolie, un point que souligne avec force le professeur Zafer Duygu de l'université Dokuz Eylül d'Izmir.
« Le développement du christianisme à l'époque antique et tardive a une géographie centrale », explique‑t‑il. « Le terme chrétien a été employé pour la première fois en Anatolie. Selon les Actes des Apôtres, le mot — dérivé de Christos, signifiant Messie — a d'abord été appliqué à Antioche à la fin du premier siècle. »
Cela signifie que le nom même de la foi, bien avant qu'elle ne se répande sur d'autres continents, s'est cristallisé sur le sol de ce qui est aujourd'hui la Türkiye.
La bénédiction anatolienne
Duygu insiste sur le fait que les premières communautés et églises chrétiennes sont nées à travers ce territoire.
« Si l'on considère les voyages missionnaires de Paul », dit‑il, « l'Anatolie occupe un rôle central. » Dans l'Apocalypse, les sept Églises — Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée — se trouvent toutes en Anatolie occidentale.
« Elles étaient considérées comme les communautés les plus significatives de l'Antiquité. »
La région a également vu naître certains des premiers martyrs et théologiens les plus influents de l'Église. « Ignace d'Antioche, Polycarpe de Smyrne — ce sont les premiers martyrs et des figures clés pour la formation de la théologie chrétienne. »
À travers la Cappadoce, la Phrygie, la Bithynie et la côte égéenne, la pensée chrétienne a prospéré. Les Pères cappadociens — Basile le Grand, Grégoire de Nazianze et Grégoire de Nysse — ont posé les bases intellectuelles de la doctrine de la Trinité.
Des mouvements entiers ont vu le jour ici, tant orthodoxes que des sectes marginalisées par le christianisme dominant, de Marcion à Sinope jusqu'à Montan en Phrygie.
« Il y a tant de membres du clergé que l'on pourrait citer », ajoute Duygu. « On pourrait donner de plus en plus d'exemples. Saints, martyrs, théologiens — l'immense majorité est issue d'Anatolie. »
Ce n'est pas une exagération régionale. Les premiers grands conciles du monde chrétien — des réunions qui lient encore aujourd'hui la plupart des grandes traditions chrétiennes — se sont tenus en Anatolie.
Entre 325 et 553, Nicée, Constantinople, Éphèse, Chalcédoine et d'autres lieux ont accueilli des délibérations qui ont façonné l'orthodoxie chrétienne à l'échelle mondiale.
« Ces conciles restent contraignants pour chaque communauté chrétienne qui revendique aujourd'hui ce titre », affirme Duygu.
L'héritage de Nicée
« Le concile de Nicée de 325 est l'un des moments les plus décisifs, et il a eu lieu ici même, dans l'actuelle Iznik », explique‑t‑il.
Il est difficile de surestimer l'importance du concile de Nicée. Convoqué par l'empereur Constantin — « qui intégrait l'Église au système d'État » —, le concile a produit le Credo de Nicée, la déclaration fondatrice de la foi chrétienne.
Selon le credo, Jésus‑Christ n'était pas un être créé mais « de la même essence » (homoousios) que Dieu le Père.
« C'est à Nicée que la croyance en la pleine divinité et l'éternité du Christ a été affirmée », précise‑t‑il. Arius et ses partisans, qui défendaient une vision différente de la nature du Christ, furent excommuniés.
Pourtant, la portée du concile n'était pas uniquement théologique. Il a aussi structuré la hiérarchie administrative de l'Église. Rome, Antioche et Alexandrie furent désignées comme centres majeurs, chacun doté d'un patriarche. Cela allait plus tard engendrer des siècles de rivalités, de schismes et de prétentions concurrentes à l'autorité — mais le cadre fut posé à Iznik.
« L'empereur a créé une hiérarchie ecclésiastique », dit Duygu. « Son objectif était politique : étendre l'autorité centrale via l'Église. »
À la lumière de cela, la visite du pape Léon XIV revêt une forte résonance symbolique. Le pape est à la fois un chef spirituel et un chef d'État. Son programme reflète ces deux rôles : des rencontres diplomatiques à Ankara, puis un pèlerinage à Iznik pour une cérémonie conjointe avec le patriarche Bartholomée, patriarche orthodoxe grec de Fener, accompagnée d'attentes quant à des déclarations.
Le lien éternel
Peder Severin, prêtre de l'église Marie Mère du Rosaire dans le quartier de Bakırköy à Istanbul, souligne la portée émotionnelle et spirituelle de la visite.
« La Türkiye est extrêmement importante pour le christianisme en termes d'histoire. Les trois premiers siècles de l'Église se sont déroulés sur ces terres. »
Pour les chrétiens qui vivent aujourd'hui en Türkiye, la visite du pape est à la fois un rappel des racines anciennes et un signe d'inclusion. « Nous faisons partie de ce pays », souligne‑t‑il. « Nous voulons contribuer à son avenir. »
Alors que les préparatifs s'intensifient et qu'Iznik attend un afflux de pèlerins, de membres du clergé, d'universitaires et de journalistes, l'attention mondiale se tourne à nouveau vers cette petite ville au bord du lac où une révolution doctrinale a autrefois eu lieu.
« C'est le premier voyage à l'étranger du pape Léon. Il entrera dans l'histoire. »