Le grand dégel franco-algérien?
Le ministre de l'Intérieur français, Laurent Nuñez, se rendra prochainement dans la capitale algérienne pour une visite cruciale. Objectif: panser les plaies de deux ans de rupture et relancer la coopération sécuritaire.
Par TRT Français
Le paysage diplomatique était figé : plus de deux ans de tensions et une rupture de fait entre Paris et Alger. Pourtant, alors que la crise semblait au plus haut, un dégel inattendu se dessine avec la visite imminente du ministre de l'Intérieur, Laurent Nuñez, à Alger.
Selon le ministre lui‑même, l’objet principal de ce déplacement est « la relance du dialogue en matière de coopération sécuritaire ». Ce nouveau départ est rendu possible, en partie, par un geste d’apaisement : la grâce accordée par le président algérien Abdelmadjid Tebboune à l’écrivain binationale Boualem Sansal.
Le départ de l’ancien titulaire de Place Beauvau, Bruno Retailleau, a également joué un rôle déterminant dans la reprise des relations bilatérales. Sa ligne ouvertement critique envers l’Algérie appartient désormais au passé, ouvrant la voie à une page différente dans les rapports franco‑algériens.
Le président Emmanuel Macron a multiplié les critiques à l’encontre de son ancien ministre, laissant entendre que Retailleau avait une part de responsabilité dans le maintien en détention de Sansal. Mais les tensions remontent à des décisions et déclarations de l’Élysée antérieures à la nomination de Retailleau.
Parmi ces décisions : la reconnaissance par Emmanuel Macron de la « souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental, des propos qualifiant le système politique algérien de « pouvoir militaire très dur » s’appuyant sur une prétendue « rente mémorielle », et une déclaration hasardeuse sur l’inexistence d’une nation algérienne avant la colonisation française de 1830. Ces éléments ont déjà provoqué un choc diplomatique à Alger.
Dans ce contexte, la rhétorique anti‑algérienne de Retailleau n’a fait qu’aggraver les dissensions, cristalliser la défiance et rendre tout dialogue pratiquement impossible pendant plus d’un an.
Laurent Nuñez incarne, en apparence, l’antithèse de son prédécesseur : apaisement et sens de la mesure. Son voyage à Alger n’est donc pas perçu comme une visite purement de routine, mais comme un signe d’une réelle volonté de réconciliation.
Un ancien haut responsable algérien a confirmé à TRT Français, sous couvert d’anonymat, la volonté des deux rives de tourner la page. « La visite de M. Nuñez à Alger est une opportunité qu’il convient de saluer, mais qui doit être appréhendée avec une clarté absolue. L’Algérie aborde cette volonté de renouer le dialogue avec un principe intangible : toute coopération, notamment dans le domaine sensible du renseignement, ne saurait être fructueuse sans le respect strict de notre souveraineté nationale et une reconnaissance mutuelle de nos intérêts stratégiques. »
L'ère de la confrontation : un héritage empoisonné
Pour mesurer la portée du changement, il faut rappeler que l’ancien ministre Retailleau avait fait de l’algérophobie une ligne politique marquée : déclarations provocatrices, durcissement des règles de délivrance de visas, valorisation du passé colonial, discours islamophobes et stigmatisation des immigrés. Ces signaux ont été perçus à Alger comme une humiliation délibérée.
La relation s’était profondément fissurée : les canaux de communication sécuritaire, essentiels pour la stabilité régionale, étaient rompus. La coopération contre l’immigration irrégulière et le terrorisme était au point mort, une rupture jugée dangereuse pour les deux pays.
Cette stratégie a montré ses limites : isolement, inefficacité et aggravation des problèmes qu’elle prétendait résoudre. Le départ de son principal artisan est ainsi apparu comme une condition quasi indispensable pour envisager une reprise.
« Le départ de Bruno Retailleau, dont les positions hostiles et caricaturales envers l’Algérie ont longtemps empoisonné les relations entre nos deux pays, a indéniablement facilité cette reprise. Aujourd’hui, les conditions semblent plus propices. À la France de démontrer, par des actes concrets, sa volonté de tourner la page des crispations stériles et d’engager une collaboration sécuritaire apaisée et tournée vers l’avenir », assure l’ancien haut responsable algérien.
La nomination de Laurent Nuñez a ainsi ouvert une fenêtre pragmatique. Dans un entretien au quotidien La Tribune, dimanche 13 novembre, il a affirmé penser « être apprécié en Algérie », tout en restant ferme sur la nécessité de renégocier les accords de 1968.
« Ce qui a permis de renouer avec l’Algérie, c’est d’abord notre volonté affichée au sein du gouvernement de rediscuter (…) En faisant cela, je me suis exposé, j’en ai conscience. Mais ce qui prime, c’est l’intérêt général. Quand 65 % des Français sont favorables à une dénonciation de l’accord franco‑algérien de 1968, vous savez que cette posture peut ne pas être de prime abord très populaire, pour autant elle est nécessaire et cela est d’autant plus vrai qu’elle a contribué à aboutir à ce résultat. Je porte un projet de reprise des discussions puis de la coopération qui s’inscrit dans le cadre d’une renégociation de l’accord souhaitée par le gouvernement. »
Le ministre souhaite reconstituer la confiance et rétablir des canaux directs entre les services des deux pays. « Nous avons besoin de rouvrir les canaux de sécurité avec l’Algérie, qui est un acteur majeur dans la lutte antiterroriste notamment », a‑t‑il déclaré. Ce voyage à Alger doit poser la première pierre de cette reconstruction.
L’initiative est accueillie favorablement côté algérien, mais sous conditions. « Notre pays a toujours été un partenaire fiable et stable dans la lutte contre le terrorisme et les trafics transnationaux. Nous possédons une expertise et des capacités reconnues que nous sommes prêts à partager avec nos homologues français, mais sur une base d’égalité et de réciprocité. Il est essentiel que la partie française comprenne que le temps des relations asymétriques est révolu », a précisé l’ancien responsable.
La libération de Sansal : un premier pas vers l’apaisement ?
L’historien Benjamin Stora, interrogé par TRT Français, souligne l’importance de cette visite qu’il considère comme une étape préparatoire et un travail de « déminage » après des années d’affrontements verbaux et diplomatiques.
« Le terrain doit être nettoyé des vieux ressentiments », estime‑t‑il. Il rappelle que cette visite ministérielle est la première depuis plus de deux ans, depuis la crise déclenchée par les déclarations de l’Élysée sur le « système politico‑militaire », puis par les questions des visas et la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par la France.
Le climat nouveau a rapidement produit des effets visibles : la libération de Boualem Sansal est devenue le symbole d’un dossier qui paraissait bloqué. L’Allemagne a joué un rôle de médiateur, mais l’évolution du contexte politique à Paris a permis d’engager un dialogue plus serein.
La résolution discrète de ce dossier épineux a été interprétée comme un signal positif envoyé par Alger et a contribué à rouvrir le dialogue. « Alger était prête à discuter. À faire des gestes », explique Benjamin Stora.
De son côté, Laurent Nuñez a tenu à souligner le rôle joué par la France dans cette libération. « Imaginer que la France n’a rien à voir dans cette libération est inaudible. Nous étions dans une relation dégradée avec Alger. L’Allemagne, en tiers de confiance, a joué évidemment un rôle primordial. Mais l’évolution récente de la position française et l’engagement du président de la République depuis un an ont incontestablement été déterminants », a‑t‑il affirmé.
Vers une coopération sécuritaire retrouvée
L’objectif central du ministre est concret : relancer la coopération sécuritaire. La lutte antiterroriste ne peut attendre, d’autant que la stabilité du Sahel est mise à l’épreuve, notamment au Mali. Des dossiers pratiques et urgents sont sur la table, et les deux pays ont un intérêt commun à coopérer.
« Il faut d’abord rétablir la confiance au niveau le plus basique, le plus fondamental, qui est le niveau sécuritaire », rappelle Benjamin Stora. Le chemin sera long : la méfiance ne disparaît pas d’un coup et les contentieux historiques demeurent.
Mais le changement d’équipe à Place Beauvau semble impulser une nouvelle dynamique. Une volonté politique apparaît aujourd’hui des deux côtés de la Méditerranée. La visite prochaine de Laurent Nuñez n’est pas une fin en soi, mais le début d’une nouvelle séquence diplomatique où le respect semble progressivement remplacer l’invective.