La proposition de "Loi Tshian" devrait être examinée lors de la session en cours à l’Assemblée nationale. Photo : AFP

Par Mamadou Dian Barry et Kudra Maliro

Cette proposition de loi Tshiani est sur toutes les lèvres en République démocratique du Congo (RDC). Rapidement écarté en 2021, puis de nouveau introduit le 17 mars dernier, le texte porté par l’ancien candidat à la présidentielle 2018, Noël Tshiani, déchaîne les passions dans le pays.

Ce texte controversé, aussi appelé « Loi sur la Congolité », rappelle le concept de « l’ivoirité » en Côte d’Ivoire et stipule que tout(e) candidat(e) doit être né(e) de père et de mère congolais.

Le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, a toutefois réfuté le terme de « congolité ».

« La loi Tshiani ne laisse personne indifférent parmi les 107 millions de Congolais que nous sommes. On a des gens pour et des gens contre. Je nous invite à un débat civilisé, avec des arguments, sans insultes ni menaces. C’est ça la beauté de la démocratie que nous voulons » a tweeté son initiateur.

Peur du syndrome de « l’ivoirité »

Ses pourfendeurs craignent que celle-ci soit utilisée pour écarter de la course à la présidentielle de décembre prochain certains candidats comme Moïse Katumbi.

Ils redoutent le syndrome de « l’ivoirité » (la Côte d’Ivoire a été déchirée par une guerre civile entre 2002 et 2011 faisant des milliers de morts ndlr), avec la peur que le pays, déjà fragilisé par les conflits armés, ne bascule dans une dérive xénophobe.

L'Association congolaise pour l'accès à la justice (Acaj) dit craindre « sérieusement » que ce projet de réforme de la loi électorale « ne remette en cause la fragile unité nationale », avec à la clé « des frustrations et des violences dont la RDC n'a point besoin », a mis en garde vendredi cette association.

Son président, l’avocat Me Georges Kapiamba « appelle vivement les députés à concentrer leurs efforts sur la restauration de la paix », notamment dans l'Est en proie aux violences armées, sur « la lutte contre le détournement des deniers publics » ou encore la préparation des élections.

Joint par TRT Afrika, l’analyste politique Me Philémon Ndambi wa Ndambi, soutient que cette loi est nécessaire pour « sauvegarder la souveraineté nationale ».

« Ce que nous avons en commun, c’est la République démocratique du Congo. Et malheureusement ce projet de loi n’est appréhendé qu’à travers le prisme de l’individu et on ne regarde pas l’intérêt de la nation, le pays », regrette –t-il.

« Beaucoup entrevoient tout de suite la personne de Katumbi alors qu’il n’est pas le seul Congolais métis né d’un père congolais et d’une mère d’un autre pays. Donc il faut considérer son impact sur la nation entière », a –t-il expliqué.

Pour Ensemble pour la République, « cette loi met à mal l'unité et la cohésion nationales en créant différentes catégories de citoyens au sein d'une même Nation ».

« Demain en RDC, pourraient donc coexister des Congolais de première et de seconde zone. Ce serait le cas en particulier pour des enfants issus de couple dont l'un des parents est de nationalité étrangère et/ou né au sein de la diaspora et détenteurs d'une double nationalité », note le parti de Moïse Katumbi dans communiqué.

Ensemble pour la République de Moïse Katumbi s'oppose catégoriquement à la "Loi Tshiani". Photo : Getty Images

« Par conséquent, Ensemble pour la République s'oppose catégoriquement à cette proposition de loi qui voudrait légaliser une forme de ségrégationnisme identique à celle pratiquée sous les régimes Nazi et de l'apartheid au XXè siècle », poursuit le document.

« Réconcilier les cœurs »

La loi sur la « congolité » inquiète également certains députés, mais également la cheffe de la Mission des nations unies en RDC (Monusco), Bintou Keïta, qui, il y a deux ans, a mis en garde devant le Conseil de sécurité de l’ONU des « conséquences potentiellement dangereuses » d’un débat sur la nationalité.

L’heure n’est pas à la division, rappelle l’archevêque métropolitain de Kinshasa. Dans son message de Pâques 2023, le cardinal Fridolin Ambongo a déclaré que les Congolais avaient un urgent besoin des gestes et des lois qui rapprochent.

« Un projet de loi sur la congolité, à la veille des élections, nous divise davantage plus qu’il nous unit. Au lieu de nous focaliser sur l’examen d’une telle loi qui nous divise, nous ferions plutôt mieux de nous resserrer les coudes pour déceler le jeu funeste des ennemis de notre patrie avec leurs velléités de balkanisation de notre pays », a plaidé le religieux.

La loi sur la « congolité » inquiète également certains députés, mais également les Nations-Unies. Photo : Getty Images

« Aussi, il est temps que nous travaillions à réconcilier les cœurs des Fils et des Filles de notre pays, suivant le message du Saint-Père François lors de son mémorable voyage apostolique en RD Congo : Tous réconciliés en Jésus Christ », a déclaré le cardinal Fridolin Ambongo.

La proposition de loi devrait être examinée lors de la session en cours à l’Assemblée nationale, qui s’achèvera en juin prochain.

« La nationalité congolaise est une et exclusive. Elle ne peut être détenue concurremment avec une autre nationalité »

L'article 10 de la constitution

La RDC compte une forte communauté rwandophones dans l’Est, mais aussi beaucoup de ressortissants nés du métissage dans la province minière du Katanga, frontalière avec la Zambie, bastion de l’opposant Moïse Katumbi.

TRT Afrika