Une femme musulmane passe devant des policiers qui montent la garde un jour où les institutions juives sont en état d'alerte, le 13 octobre 2023 à Berlin, en Allemagne (Getty Images)

Par Hannan Hussain

Cela fait un mois que l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a appelé les dirigeants à faire davantage pour "construire le dialogue et contrer la haine antimusulmane", dans un contexte de montée des préjugés et de la violence antimusulmane dans les États européens.

Malgré cet appel à l'action, l'Europe ne semble pas près de former un front uni contre l'islamophobie. De nombreux États européens continuent de faire état de menaces croissantes à l'encontre des communautés musulmanes dans des pays comme la Norvège.

Parallèlement, des pratiques policières de plus en plus controversées menacent les manifestations pacifiques et les rassemblements organisés de musulmans en Allemagne.

La montée en puissance de l'extrême droite en Europe ne fait qu'aggraver le problème, les partis ayant des tendances clairement anti-islamiques se disputant une plus grande représentation lors des élections législatives de juin dans l'Union européenne.

Tout cela souligne la nécessité de lutter contre l'islamophobie rampante en Europe et de garantir une protection adéquate des libertés musulmanes contre la haine et la discrimination.

Pour faire face aux menaces qui pèsent sur les communautés musulmanes, certains pays ont tenté (en vain) de déployer une démonstration de force. La Norvège a récemment décidé d'armer ses agents en service en réponse aux menaces croissantes contre les mosquées, tandis que la France a mis en place une "force de sécurité mobile" pour gérer son interdiction controversée du foulard dans les écoles.

Ces mesures de sécurité ne peuvent à elles seules répondre à un sentiment d'exclusion croissant chez les musulmans, ni garantir un environnement de tolérance.

Cette stratégie peut également se retourner contre elle, car le racisme est de plus en plus répandu dans les services de police de l'UE, selon un nouveau rapport de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Les pays européens risquent de renforcer les préjugés communautaires à l'encontre des musulmans, à moins que la formation des policiers ne couvre la haine anti-musulmane, ce qui est rare.

L'effet Gaza

Alors que la guerre d'Israël contre Gaza alimente le sentiment anti-musulman à travers le continent, l'Europe doit adopter une position plus ferme contre l'islamophobie.

Des musulmans prient pendant l'Aïd al-Fitr tandis qu'un garçon agite le drapeau palestinien sur la Piazza Garibaldi le 10 avril 2024 à Naples, en Italie (Getty Images).

Après tout, les incidents contre les musulmans se sont multipliés depuis le début de l'attaque israélienne, et Bruxelles s'est bien gardée de critiquer le génocide israélien à Gaza.

L'initiative limitée de l'UE pour mettre fin à l'agression israélienne a eu un coût considérable pour la population musulmane d'Europe. Les membres de la communauté craignent que la liberté d'expression, la liberté de réunion et le droit de manifester ne soient soumis à des restrictions considérables dans de nombreux pays.

En Allemagne, par exemple, les manifestants musulmans font l'objet de tactiques policières musclées depuis des mois, tandis que 66 % des musulmans français font état d'une politique systématique de discrimination.

Ces évolutions sont fondamentalement en contradiction avec l'engagement de l'Europe en faveur des valeurs communes de liberté et remettent en cause sa défense des libertés civiles.

"L'Union européenne condamne la haine et la discrimination antimusulmanes, tout comme elle condamne toutes les formes de discrimination, d'hostilité et de violence fondées sur la religion ou les convictions", peut-on lire dans une déclaration de l'UE à l'occasion de la Journée internationale de lutte contre l'islamophobie, le mois dernier.

Pourtant, de nombreux musulmans européens continuent de se sentir de plus en plus aliénés chez eux, tandis que l'Union européenne fait peu de cas des sensibilités musulmanes, alors que les attaques d'Israël font rage.

Il est intéressant de noter qu'au sein de l'UE et au-delà, de nombreux efforts de lutte contre l'islamophobie sont entachés de controverses et de débats publics houleux.

Prenons l'exemple de l'Allemagne, où le gouvernement insiste sur le fait que les attaques contre les musulmans pour des raisons religieuses ou autres sont "absolument inacceptables".

Cela n'a pas empêché les crimes islamophobes de plus que doubler l'année dernière. Depuis, la guerre d'Israël contre Gaza a contribué à la montée du racisme anti-musulman en Allemagne.

En dehors de l'UE, le Royaume-Uni s'efforce de contenir les critiques croissantes suscitées par sa nouvelle définition controversée de l'"extrémisme".

Le gouvernement a redéfini l'extrémisme comme "la promotion ou l'avancement d'une idéologie fondée sur la violence, la haine ou l'intolérance", ce qui lui donne une grande latitude pour qualifier des individus ou des groupes de menaces.

Nombreux sont ceux qui y voient une tentative de cibler les groupes de défense des musulmans au nom de la lutte contre l'islamophobie. Londres doit encore dissiper cette impression de tous les côtés de l'échiquier politique.

Compte tenu de ces tendances, l'Europe manque d'unité dans la lutte contre l'un des défis les plus importants auxquels est confrontée sa population musulmane.

La montée de l'extrême droite

La montée des partis d'extrême droite anti-islam en Europe vient compliquer une grande partie du débat.

Cette photographie prise le 10 avril 2024 montre une affiche géante annonçant les prochaines élections européennes, collée sur la façade du bâtiment du Parlement européen, à Strasbourg, dans l'est de la France (AFP/Frederick Florin).

De nombreux politiciens de ce camp sentent l'opportunité de capitaliser sur la campagne anti-islam et d'orienter l'UE davantage vers la droite.

Après tout, Bruxelles se dirige vers des élections parlementaires très attendues en juin, et ECR - un groupement de partis européens de droite dure - mène une campagne puissante pour augmenter son poids de droite au Parlement.

Les partis ayant des antécédents anti-islamiques, tels que Vox en Espagne et les "Frères d'Italie" en Italie, se servent également de la structure de l'ECR pour gagner en influence au parlement, ce qui laisse présager de nouvelles hostilités anti-musulmanes à l'avenir.

Ces partis ne sont pas les seuls non plus. De nombreux populistes anti-européens devraient arriver en tête des sondages dans neuf États membres européens, ce qui laisse suffisamment d'espace aux législateurs de la droite dure pour former une coalition populiste bénéficiant d'un soutien majoritaire.

Pour la communauté musulmane d'Europe, il s'agit là de signes inquiétants. Tout d'abord, le renforcement de la présence de l'extrême droite au Parlement pourrait accroître l'influence de la ligne dure sur les priorités futures de l'UE, y compris sur les efforts de lutte contre l'islamophobie.

En outre, les partis d'extrême droite ayant des tendances anti-islamiques voudront faire appel à leur base, après avoir passé des années à promouvoir les frictions entre l'islam et l'Occident.

Le groupe d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) en est un exemple : il s'est présenté avec un programme anti-musulman il y a plusieurs années et est aujourd'hui l'un des plus grands partis du pays.

À mesure que l'influence de la droite s'accroît, il pourrait devenir encore plus difficile pour l'UE de réunir un large consensus sur la protection des libertés musulmanes.

Il s'agit là d'un élément important pour définir la réponse à long terme de l'Union à l'islamophobie, à une époque où la discrimination, l'hostilité et la violence antimusulmane restent endémiques sur le continent.

Solutions

L'Europe pourrait prendre des mesures concrètes pour lutter contre l'islamophobie.

Des musulmans tiennent des pancartes alors qu'ils prient lors d'un rassemblement contre l'islamophobie le 30 octobre 2020 dans le centre de Rome (AFP/Alberto Pizzoli).

Par exemple, les dirigeants de l'UE pourraient envisager de publier des lignes directrices spécifiques sur les exigences en matière de surveillance et de formation de la police pour tous les États membres.

Ils devraient également rendre obligatoire pour toutes les unités de police de tenir compte de la haine anti-musulmane dans le cadre de leur formation.

En outre, les partis de centre-gauche et de gauche de l'UE devraient publier des manifestes distinguant clairement la liberté d'expression de la haine antimusulmane et de l'islamophobie.

Cette action trancherait avec le vitriol et les discours de haine prononcés par les partis d'extrême droite au nom des "valeurs occidentales".

D'un point de vue électoral, elle pourrait également permettre aux partis de centre-gauche de puiser dans les banques de votes de millions de musulmans européens, alors que leurs partis s'efforcent de regagner en popularité au sein du parlement.

L'UE peut également contribuer à changer les cœurs et les esprits en mettant en œuvre des campagnes d'éducation sur les musulmans dans les écoles, les universités et les forums académiques.

Ces actions pourraient contribuer à dissiper les perceptions erronées, à mettre en évidence les liens entre ce groupe et l'ensemble de la population et à souligner la nécessité de favoriser la coexistence. Ces mesures pourraient servir de base à la lutte contre l'islamophobie avec tout le sérieux qu'elle mérite.

L'auteur, Hannan Hussain, est un spécialiste des affaires internationales et un auteur. Il a été chercheur Fulbright en sécurité internationale à l'université du Maryland et a été consultant pour le New Lines Institute for Strategy and Policy à Washington. Les travaux de M. Hussain ont été publiés par la Fondation Carnegie pour la paix internationale, le Georgetown Journal of International Affairs et l'Express Tribune (partenaire de l'International New York Times).

Disclaimer : les opinions exprimées par l'auteur ne reflètent pas nécessairement les opinions, les points de vue et les politiques éditoriales de TRT Afrika.

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