La présence militaire française est de plus en plus remise en cause par la société civile africaine notamment. (AFP)

Par

Awa Cheikh Faye

Le 28 janvier, des milliers de personnes se sont rassemblées à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, pour célébrer l'annonce par le gouvernement français du retrait de ses troupes stationnées dans la nation africaine depuis 2018.

Les "célébrations" ont coïncidé avec un soulèvement public massif en France le même jour, alors que des millions de citoyens français se sont réunis à travers le pays pour protester contre les plans de réforme des retraites du gouvernement Macron et une crise croissante du coût de la vie.

L'ironie n'a échappé à personne au Burkina Faso. - Un gouvernement français de plus en plus déconnecté de ses propres citoyens est maintenant confronté à des appels de plus en plus forts pour desserrer son emprise sur ses anciennes colonies.

Il suit désormais un modèle. Les soldats français ont quitté la République centrafricaine (RCA) en 2021, quelques mois après la fin du déploiement de ses forces au Mali.

Ces départs constituent une étape supplémentaire dans la transformation des relations entre Paris et ses anciennes colonies, qui semblent déterminées à redéfinir une "coopération" que beaucoup estiment fortement orientée en faveur de la France.

Échecs militaires

La France est confrontée à des appels de plus en plus pressants pour desserrer son emprise sur ses anciennes colonies (Guetty Images).

Sur le continent, les politiques françaises qualifiées de néocoloniales sont contestées à coups de slogans et de pancartes par la jeunesse, en proie à la pauvreté et aux médiocres perspectives d'emploi depuis des décennies. Ils réclament un nouveau modèle de coopération plus équitable et le respect de la souveraineté des nations africaines.

Plus récemment, cette désaffection semble être montée d'un cran, notamment avec l'émergence au Mali, en Guinée et au Burkina Faso de jeunes leaders aux idées nationalistes qui n'hésitent pas à dénoncer publiquement les accords avec la France.

Ils estiment que ces accords ne servent pas les intérêts de leurs pays. L'analyste en sécurité et en géopolitique Romual Ilboudo explique le changement d'attitude de certains dirigeants africains envers Paris par un "facteur générationnel".

A l'ONU, le Mali a accusé la France d'abandon en plein vol. (Guetty Images)

"Les dirigeants actuels du Burkina, du Mali et de la Guinée n'ont pas connu la colonisation, ni la période des indépendances, ils n'ont donc aucun complexe. C'est une génération qui demande de traiter d'égal à égal avec l'ancien colonisateur", explique Ilboudo à TRT Afrika.

"Ensuite, il y a l'attitude de la France elle-même. Paris n'a pas changé de politique, et son regard sur ses anciennes colonies ne tient pas compte de l'évolution générationnelle. Au fil des ans, les frustrations ont augmenté. Le rejet de l'armée française est le résultat de ces frustrations", ajoute-t-il.

Pour beaucoup, le départ des forces militaires françaises est un pas vers la restauration de la souveraineté économique et politique de ces nations.

"Aujourd'hui, la relation que nous avons avec la France est une relation imposée par l'histoire, et non par les choix stratégiques de nos États", déclare Boubakar Bokoum, leader du Parti africain pour l'intégration et la souveraineté au Mali.

Les opérations militaires françaises au Mali ont commencé avec l'opération Serval de 2013 contre les insurgés, mais n'ont pas réussi à stopper la prolifération des groupes armés qui ont depuis étendu leur influence à de nouvelles zones.

Après le Mali, le Burkina a demandé au troupes françaises de quitter son territoire. (Guetty Images)

En une décennie, les terroristes alliés à Daesh ont étendu leur violence au Niger et au Burkina Faso et ont même touché la Côte d'Ivoire et le Bénin. La monnaie coloniale L'autre grande question qui suscite la colère dans la région est d'ordre monétaire.

Il s'agit du sensible sujet du Franc CFA, une monnaie héritée de l'époque coloniale et actuellement utilisée dans 14 pays du continent. Depuis de nombreuses années, un débat a lieu en Afrique pour savoir si une monnaie africaine doit remplacer le Franc CFA.

Marc Bonogo, président de l'Alliance des nouvelles consciences, une organisation de la société civile du Burkina Faso, affirme que "la plupart des personnes qui mènent cette campagne sont des jeunes de moins de 30 ans qui vivent avec les conséquences du chômage endémique des jeunes et de la pauvreté persistante. Tous ces facteurs sont liés au Franc CFA.

Des troupes allemandes participent à la mission de l'ONU au Mali. (Guetty Images)

"L'indépendance politique est peut-être là, mais financièrement et économiquement, les pays d'Afrique francophone ne sont pas libres", dit-il à TRT Akrika. En effet, beaucoup considèrent que la monnaie héritée de l'ère coloniale entrave la capacité des pays africains à contrôler leur économie et à se développer de manière autonome.

Boubakar Bokoum, président du Parti africain pour l'intégration et la souveraineté au Mali, affirme que "les intérêts européens ont toujours été guidés par la conquête et l'expansion".

"L'expansion était soutenue par des intérêts économiques. Ainsi, ce qui a effectivement sous-tendu la création du Franc CFA - une monnaie inventée dans l'esprit de la monnaie nazie - était de permettre à la France d'accéder aux ressources dont elle avait besoin en Afrique."

Les détracteurs du Franc CFA affirment que cette monnaie rend les pays qui l'utilisent dépendants de la France et affaiblit leurs économies.

Les taux de change fixes, par ailleurs, rendent les économies africaines vulnérables aux chocs économiques mondiaux. L'analyste en sécurité et en géopolitique Romuald Ilboudo décrit cela comme "un emprisonnement de notre monnaie".

Le Franc CFA pose la question fondamentale de la souveraineté économique, monétaire et financière des nations africaines. "Si nous n'avons pas le contrôle de notre monnaie, nous sommes effectivement floués. Les intellectuels africains ont compris la valeur de la monnaie et ont compris à quel point le Franc CFA est une tromperie", affirme Boubakar Bokoum.

"Et que les principaux investissements dans nos économies sont aujourd'hui soutenus par le FMI et la Banque mondiale, qui sont un duo de fraudeurs, l'impérialisme européen et le capital bancaire financier mondial, c'est-à-dire les États-Unis et la France", ajoute-t-il.

Nouveaux partenaires

L'armée malienne est mieux équipée pour lutter contre le terrorisme. (Guetty Images)

Ces dernières années, on a assisté à une évolution constante vers des relations plus étroites entre les pays africains et d'autres puissances telles que la Russie, la Türkiye et la Chine.

Pour certains, c'est le résultat d'une série de facteurs, dont la recherche de nouvelles opportunités économiques, le désir de diversifier les relations internationales et de s'affranchir de la domination financière de l'Occident et d'établir des partenariats plus équilibrés avec des nations d'autres continents.

Pour d'autres, elle reflète l'émergence d'un sentiment anti-français sur le continent. Marc Bonogo, lui, affirme qu'"il n'y a pas de sentiment anti-français en Afrique". "Ce que nous condamnons, c'est la politique française en Afrique.

Les gens ont compris que dans la coopération entre la France et les nations africaines, c'est seulement la France qui gagne tandis que l'Afrique sort les mains vides, c'est pourquoi les jeunes Africains ont entamé un processus d'autonomisation politique, économique, sociale et culturelle.

" Romual Ilboudo met en avant le sens élevé de l'hospitalité de l'Afrique en général et de l'Afrique de l'Ouest en particulier.

"Les Français en Afrique de l'Ouest sont bien intégrés... Cependant, ils doivent faire preuve de considération envers leurs hôtes. Et tant qu'il y a un respect mutuel, ils seront toujours bien accueillis", dit-il.

Bokoum affirme que l'Afrique est aujourd'hui consciente de sa force. "L'Afrique dit que ça suffit. Assez du pillage des ressources. Assez du contrôle de l'économie. L'Afrique a besoin de se développer", dit-il.

"Il n'y a aucune raison pour que nous ayons toutes les ressources naturelles, avec toutes les ressources intellectuelles, et que nous soyons pourtant le continent le moins développé du monde."