La culture du sel

Par Firmain Eric Mbadinga

Du sel à volonté. Aucune recette salée n'est complète sans cette phrase omniprésente, qui illustre l'importance de l'assaisonnement le plus répandu dans la nature pour toutes les cuisines.

Comme une poudre magique que l'on reprend sur une surface, le sel a le pouvoir de sublimer un plat tout comme il peut le rendre incomestible. Ce double effet que peut avoir le sel, en fonction de son dosage, est une réalité dont tient l'Organisation Mondiale de la Santé au gramme près.

En effet, afin de garantir la saveur et le bien-être des consommateurs, l'OMS recommande de consommer moins de 5 grammes de sel par jour pour les adultes et encore pour les enfants allant de 2 à 15.

Et ce sel doit être suffisamment riche en iode pour garantir un équilibre sanitaire.

Ce dernier critère suggère de facto que la saliculture, c'est-à-dire la production de sel, doit répondre à un ensemble de règles et de techniques pour garantir aux populations du sel de qualité.

L'economie locale

Au Sénégal, les régions de Fatick dans le centre et celle de Sédhiou dans le sud, sont réputées comme étant les pôles de saliculture.

Ce sont essentiellement des femmes que l'on retrouve dans ces plaines au relief marqué par les cratères formés par les saliculteurs. Dans le jargon, ces cratères sont appelés '' marais salants''.

Louise Laroye connaît très bien les marais salants des communes de Palmarin, Djilasse et Loul Sésséne, tous situés dans la zone côtière de la région de Fatick.

Avec l'association Univers-sel, Louise Laroye qui en est la chargée de projets au Sénégal, travaille aux côtés des productrices artisanales afin de moderniser les techniques de production de sorte que le sel produit soit de meilleure qualité et ces techniques de production soient moins polluantes.

Depuis 4 ans maintenant, Univers-Sel au Sénégal concentre ses efforts autour de 2 projets pour aider les productrices locales.

''Il s'agit du projet Ndappe O Diem qui veut dire 'grenier à sel' en langue sérère et qui a démarré en octobre 2022. Et il y a le projet Resilao, qui intervient uniquement sur Palmarin, lancé en février 2024.'' fait savoir Louise Laroye à TRT Afrika.

Ces deux projets sont la matérialisation d'une coopération entre saliculteurs sénégalais et saliculteurs d'autres pays qui a été initiée par le Conseil National de Développement de la Nutrition du Sénégal. À cette période, la structure s'appelait ''Cellule de Lutte Contre la Malnutrition."

''C’est un organisme étatique sénégalais qui accompagne les productrices et les producteurs dans la lutte contre les carences en iode. La cellule à l’époque éprouvait des difficultés à organiser les producteurs afin que ceux-ci puissent alimenter le Sénégal et la sous-région en sel adéquatement iodé. Donc, ils nous ont contactés afin que nous puissions faire une étude filière. Et à la suite de ça, on a créé et démarré un projet pilote ' APEFASS' en 2020 pour une durée de 2 ans. Ensuite est venu le projet Ndappe O Diem'' renseigne la chargée de projet.

Les fosses et les bassins salins remplacent les méthodes les plus courantes de production de sel.

Une histoire en dents de scie

Pendant de nombreuses années, en effet, la production de sel en Afrique a été assurée par des producteurs artisanaux qui perpétuaient des techniques de production anciennes.

En Guinée-Bissau où intervient également l'association Univers-Sel, en Gambie, tout comme au Niger et au Sénégal, bien qu'il existe plusieurs techniques telles que la technique du fourneau ou l'extraction minière, les techniques de l'évaporation solaire et de l'évaporation par le feu semblent les plus usitées.

Serra Salt Machinery explique dans un article que la technique d’évaporation solaire est la plus ancienne méthode de production de sel. Selon la structure qui fait partie des géants mondiaux en matière d'études et de production de sel, la matière représente environ 3,5 pour cent des océans du monde.

Serra Salt Machinery précise que le sel est produit naturellement ''lorsque l’eau de mer est introduite dans une série de bassins pour son évaporation continue et enfin pour la cristallisation fractionnée des différents sels ; jusqu’à la précipitation du chlorure de sodium dans les bassins appelés cristalliers. Après cela, le sel est récolté et transformé en fonction de ses besoins.''

La technique de l'évaporation du sel par le feu consiste, elle, à faire passer sous haute température dans des fourneaux et autres récipients, et à plusieurs reprises, une eau salée. C'est ce type d'approche qui, selon les spécialistes, implique une très forte combustion de matière organique telle que le bois et qui nuit de fait à l'environnement dans un contexte de réchauffement climatique.

Les approches durables

''Nous ne travaillons pas avec cette technique'', se défend Louise au sujet de l'évaporation du sel par le feu. ''La technique au Sénégal, dans les zones où nous intervenons, est différente de celle en Casamance ou même en Guinée-Bissau. Ici, nous sommes sur la technique des puits à sel et des bassins. Les producteurs et productrices ne doivent pas faire chauffer de bois, précise la dame. Les deux cas cités ont pour source d'énergie de chauffage le soleil.

''Universel propose une alternative sur cristallisoir individuel sur bâche plastique qui permet en fait d'éviter la cuisson et d'éviter la coupe du bois. On propose une technique depuis maintenant plusieurs années qui a été mise, initiée par des rencontres, par des échanges et qui s'est au fur et à mesure améliorée.

On propose de ne plus faire cuire cette saumure, mais de la mettre sur ce cristallisoir individuel et grâce au soleil et au vent, on est capable d'obtenir du sel de très bonne qualité tous les jours pendant la période sèche qui s'étend à peu près de janvier à mi-avril début mai.'' explique de façon technique Emmanuel Deniaud le directeur de l'association.

Louise Demba Sarr, ancienne présidente de la Fédération des saliculteurs de la ville de Palmarin, fait partie de ceux qui ont bénéficié de leur association avec Univers-Sel.

"Auparavant, nous ne nous préoccupions pas forcément de la qualité du sel. Mais grâce à Univers-Sel, nous le faisons désormais en connaissant concrètement les procédures à suivre. Auparavant, nous ramassions et mélangions la première récolte, la deuxième et la troisième en un seul bloc. Le produit final n'était pas bon", explique Mme Sarr à TRT Afrika. Elle note qu'elle et ses collègues ont également développé des compétences pour améliorer leurs ventes. "Chaque année, des personnes d'Univers-Sel sont chargées de discuter avec nous du renforcement des capacités.'' ajoute-t-elle.

Louise Demba Sarr en pleine séance de travail dans la commune de Palmerais qui est considérée comme l'un des pôles de la saliculture au Sénégal.

La chaîne de valeur

En sollicitant le concours d'Univers-Sel, le gouvernement du Sénégal offre aux saliculteurs artisanaux qui sont au début de la chaîne de production, le savoir-faire nécessaire pour que le sel soit correctement enrichi en sodium à travers un processus écologique.

Et c'est ce sodium qu'il faut bien doser dans la production et dans la consommation de sel. En effet, selon l'OMS, ''le sodium est un nutriment essentiel nécessaire au maintien du volume plasmatique, à l’équilibre acido-basique, à la transmission de l’influx nerveux et au fonctionnement normal des cellules.''.

Toutefois, l'Organisation Mondiale de la Santé souligne que le même sodium consommé en grande quantité peut entraîner l’hypertension artérielle, qui augmente le risque de maladies cardiovasculaires, de cancer gastrique, d’obésité et d'autres maladies. L'OMS estime aussi que 1,89 million de décès chaque année sont associés à une consommation excessive de sodium.

Selon des données officielles en Afrique de l'Ouest, le Sénégal arrive en tête des pays producteurs de sel avec près de 450.000 tonnes de sel par an, soit environ 150.000 tonnes de plus que son voisin bissau-guinéen.

La production continentale, le Sénégal, revient à la première place dans un contexte où l'Afrique dépend des importations de sel pour combler une demande estimée, selon l'UNICEF, à 7.000.000 de tonnes par an.

Le Lac Rose situé dans la périphérie de Dakar constituait aussi un important site de production de sel, avec plusieurs dizaines de milliers de tonnes chaque année. Mais depuis août 2022, cette production est à l’arrêt suite à de graves inondations qui ont provoqué une montée exceptionnelle des eaux.

TRT Afrika