La police française est "coloniale par essence" et trouve ses racines les plus profondes dans la plantation esclavagiste française, déclare Emmanuel Blanchard. /Photo : AFP

Le meurtre brutal de Nahel Merzouk, un adolescent musulman d'origine algérienne et marocaine, par un policier, a déclenché une série de soulèvements violents dans toute la France.

Cette grave injustice - survenue à la veille de l'Aïd al Adha - et sa couverture déshumanisante ont suscité une profonde colère au sein de la communauté musulmane.

Le fait de descendre dans la rue et d'attaquer les institutions de l'État - mairies, préfectures, écoles, commissariats de police - avait une signification politique évidente. Les émeutiers s'opposaient à l'islamophobie et au racisme systémiques mis en place par l'État pour les "discipliner".

L'incident a révélé les dessous sombres de l'État français. La politique corporatiste - soutenue par une culture islamophobe - a fait de son mieux pour protéger la réputation de la police.

Les acteurs pro-étatiques et les influenceurs des médias sociaux ont présenté les brutalités policières à l'encontre de jeunes musulmans comme des événements d'importance marginale - quelques "pommes pourries" au sein d'une institution par ailleurs saine - plutôt que comme un problème systémique fermement ancré dans l'histoire de la République.

Pour démasquer la fausseté de ce récit, le meurtre de Merzouk et la perpétuelle brutalité policière doivent être examinés dans un contexte à la fois social et historique.

L'héritage colonial

Selon Emmanuel Blanchard, l'universitaire qui fait le plus autorité en la matière, la police est "coloniale par essence" et trouve ses racines les plus profondes dans la plantation esclavagiste française.

Avec l'expansion coloniale du XIXe siècle, de nouvelles forces ont été créées pour contrôler les populations indigènes conquises, discipliner leurs corps et leurs comportements par le biais d'une "mission civilisatrice".

Pour protéger l'ordre colonial, ces forces travaillaient en étroite collaboration avec l'armée, massacrant les musulmans qui s'organisaient pour abolir l'autorité de la République.

La police coloniale était donc systématiquement islamophobe et brutale : sa première tâche était d'empêcher les musulmans de reconquérir la domination politique sur leur terre perdue par tous les moyens nécessaires.

Avec l'arrivée des musulmans dans les métropoles françaises, la République islamophobe crée dans les années 1930 une police baptisée "brigade nord-africaine".

Transférant ses "techniques algériennes" en métropole, la brigade a pour principale fonction de surveiller les "banlieues musulmanes".

Après la seconde guerre mondiale, cette force antimusulmane et raciste est brièvement dissoute jusqu'à sa renaissance dans les années 1950 sous une autre dénomination mais avec une responsabilité identique.

Techniques ancestrales

Pendant la guerre d'indépendance algérienne, elle s'est déployée pour soumettre violemment les musulmans algériens.

La confession de l'un de ses officiers, Roger Le Taillantier, révèle le degré d'impunité dont jouissait cette force.

"À notre manière, le fusil dans une main et le code de procédure pénale dans l'autre, nous menions une guerre que les militaires tentaient de gagner en Algérie", écrit l'officier dans son livre publié en 1995. Après la guerre, la Brigade Anti-Criminalité est créée sur les cendres de la Brigade Nord-Africaine.

Une fois de plus, malgré un changement de dénomination, sa fonction est restée similaire puisqu'elle a été affectée au maintien forcé de la ségrégation de facto des musulmans dans les "banlieues". Il fonctionne encore aujourd'hui.

Pendant la lutte de libération de l'Algérie, la police et l'armée françaises ont élaboré leur doctrine de contre-insurrection. Pendant la bataille d'Alger, les quartiers musulmans ont été étroitement encadrés par les forces françaises.

Pour protéger le pouvoir colonial, l'État utilise diverses méthodes d'asphyxie pour torturer les musulmans et étouffer leur résistance. Entre autres techniques, des contrôles d'identité constants et des interrogatoires de tout suspect ont eu lieu, parallèlement à l'utilisation de gaz lacrymogènes et d'hélicoptères de surveillance.

Cette doctrine draconienne influence encore les méthodes utilisées par l'État pour s'opposer aux émeutes dans les quartiers musulmans. La ressemblance avec les émeutes de cette année est frappante car la plupart des techniques utilisées il y a 60 ans sont toujours en vigueur.

Raisons existentielles

Une enquête récente a prouvé que 13 hommes d'origine africaine sont morts aux mains de la police lors d'un contrôle routier rien qu'en 2022.

La brutalité policière contemporaine ne fait toujours pas l'objet d'une recherche de données complètes en France. Néanmoins, l'absence de données ne nous empêche pas de prouver la nature systémique des brutalités policières islamophobes et racistes.

En effet, l'aperçu historique susmentionné prouve l'existence d'une continuité institutionnelle au sein de la police depuis l'époque coloniale jusqu'à notre époque.

Si la structure des différentes forces de police était réorganisée pour s'adapter à un contexte changeant pour les musulmans, la fonction de la police resterait inchangée. Sa responsabilité était et reste politique.

Elle est conçue pour s'opposer violemment à la dissidence des musulmans et pour entraver leur développement politique. Que l'objectif des musulmans soit de conquérir leur terre ou de s'opposer à l'islamophobie et au racisme systémiques, leurs revendications légitimes se heurtent à une brutalité constante destinée à briser leurs corps et leurs esprits.

La présence des musulmans d'aujourd'hui est le résultat complexe d'un conflit colonial qui s'est finalement terminé en faveur de leurs ancêtres.

Processus de maturation

A l'instar de l'Amérique blanche qui craint l'égalité entre Noirs et Blancs, la France républicaine et blanche est terrifiée par une notion : La volonté politique des musulmans.

À l'époque coloniale, la lutte de libération des musulmans dans les pays colonisés a entraîné l'affaiblissement de la République et, en fin de compte, sa défaite.

En d'autres termes, le psychisme français associe l'effort politique des musulmans à son propre déclin. Par conséquent, l'identification par Dhoruba Bin Wahad des raisons existentielles de la brutalité policière aux États-Unis peut être utilisée et adaptée au contexte français.

Aux yeux de la France républicaine blanche, la présence des musulmans nécessite "l'endiguement physique, la contrainte psychologique, le contrôle social et l'intimidation violente ainsi que la menace d'une punition de masse".

Les soulèvements ouvrent une nouvelle saison politique pour les musulmans de France. L'État français restera fidèle à lui-même, poursuivant son héritage colonial de violence et d'oppression.

Néanmoins, les musulmans de France ont connu leur propre processus de maturation. Il a donné naissance à une nouvelle génération de dirigeants locaux entièrement dévoués à l'épanouissement de leur communauté.

Leur défi est de traduire l'énergie des émeutiers en un mouvement politique organisé capable de résoudre les problèmes systémiques auxquels les musulmans et les autres minorités sont soumis depuis des générations.

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