L'attaquant brésilien Vinicius Junior pleure lors d'une conférence de presse à la veille du match amical international de football entre l'Espagne et le Brésil, le 25 mars 2024 (AFP/Pierre-Philippe Marcou).

Le footballeur brésilien Vinícius Junior a récemment craqué lors d'une conférence de presse avant un match contre le Real Madrid, déclarant qu'il se sentait "moins inspiré" de pratiquer ce sport en raison des chants racistes répétés à son encontre lors des matchs.

L'appel lancé par l'athlète de 23 ans aux instances dirigeantes du football pour qu'elles "fassent plus" a relancé, près d'un an plus tard, une conversation sur le racisme auquel il continue d'être confronté sur le terrain et en dehors. Le problème dépasse le cadre du football et concerne directement le racisme qui sévit en Espagne également.

L'année dernière, lorsque Vinicius a interpellé les supporters du Valencia CF pour des cris de singe et des insultes racistes, les téléphones des analystes raciaux et des organisations antiracistes en Espagne n'ont pas cessé de sonner pendant des semaines. Je faisais partie de ceux qui répondaient aux appels et aux questions des médias.

Je me souviens que presque toutes les interviews commençaient par la même question : L'Espagne est-elle un pays raciste ? Je répondais toujours de la même manière : oui.

L'Espagne est un pays raciste parce que le racisme y est structurel, tout comme le sexisme. Il est présent dans tous les domaines de notre société.

En tant que personne noire née en Espagne, je le sais pour l'avoir vécu aussi longtemps que je m'en souvienne : enfant, j'aidais des membres de ma famille dans leurs démarches d'immigration ; adolescent, je subissais des contrôles de police racistes ; et adulte, je recevais des refus de candidature à un emploi ou des menaces racistes sur l'internet.

Ma vie n'est pas une exception, c'est la règle pour les Noirs. Pendant des années, je l'ai analysée sous de multiples angles.

En Espagne, il existe peu de données officielles sur l'impact du racisme, mais nous savons que 80 % des sociétés immobilières acceptent de ne pas louer à des immigrés, que le profilage racial de la police touche un pourcentage plus élevé de Roms, de Noirs et d'Arabes, et que la ségrégation scolaire est chaque jour plus évidente.

Malgré les preuves, l'Espagne continue de nier l'existence du racisme ou tente de nous convaincre que la discrimination est un événement rare. Récemment, des stars du football comme l'Espagnol Carvajal ou le Brésilien Donato ont déclaré que l'Espagne n'était pas un pays raciste. Mais ma question est la suivante : si l'Espagne n'est pas raciste, pourquoi y a-t-il eu tant d'épisodes de racisme depuis des décennies ?

Lorsqu'il s'agit de football, les dirigeants devraient être mieux informés. Vinicius n'est ni le premier ni le dernier cas. Il y a quelques jours, en un week-end, il y a eu trois exemples d'insultes racistes : à Cheikh Sarr, gardien de but du Rayo Majadahonda, à l'entraîneur rom de Séville, Quique Sanchez Flores, et au footballeur argentin de la même équipe, Marcos Acuña.

Il y a dix ans, en 2014, Dani Alves s'est vu jeter une banane depuis les tribunes. En 2006, le Camerounais Samuel Eto'o a tenté de quitter le stade au son des cris de singe. Plus loin dans le temps, en 1993, le gardien de but nigérian Wilfred Agbonavbare a déclaré avoir entendu au stade du Real Madrid des cris sur le "Ku Klux Klan" et des invitations à ramasser du coton.

L'année dernière, Iñaki Williams, un joueur de l'Athletic Club de Bilbao né de parents ghanéens, a porté pour la première fois le racisme dans le football devant les tribunaux.

Inaki Williams de l'Athletic Bilbao, à gauche, se bat pour le ballon avec Mouctar Diakhaby de Valence lors d'un match de football de la demi-finale aller de la Coupe du Roi à Bilbao, Espagne, jeudi 10 février 2022 (AP/Alvaro Barrientos).

Lors des matchs de football professionnel, il y a généralement de nombreuses caméras et des milliers de supporters dans les tribunes. Ceux qui scandent des slogans racistes devraient être relativement faciles à identifier. Mais il serait erroné de penser que cela ne se produit qu'au niveau de l'élite.

Cela va plus loin, même parmi les supporters. En février, avant un match entre le Real Madrid et l'Atlético de Madrid, un adulte a proféré des insultes racistes et des menaces à l'encontre d'une fillette de huit ans qui portait le maillot de Vinicius aux abords du stade. Quelques mois plus tard, il a été arrêté.

Je me souviens de ma période de joueur amateur à Huesca, une petite ville du nord de l'Espagne, où, à l'âge de 12 ans, j'entendais déjà des insultes racistes de la part de mes rivaux. Et pire encore, de la part de leurs parents adultes. Près de 20 ans plus tard, ces souvenirs sont encore bien présents dans mon esprit. Ma vie n'est pas une exception, c'est la règle pour les Noirs qui ont joué au football en Espagne, qu'ils soient amateurs ou professionnels.

Et face à tout cela, que fait la Liga ? La société est-elle en train de changer ? A mon avis, elle prend toujours le chemin le plus facile et le moins impactant. La Ligue espagnole a choisi de transférer les plaintes aux tribunaux ordinaires, ce qui retarde les procédures et les sanctions éventuelles.

Les protocoles ne prennent pas en compte les répercussions en compétition, telles que la fermeture des tribunes et des stades ou le retrait de points, comme la Premier League envisage de le faire.

Mais la clé réside dans la communauté. Nous apprenons le racisme dès notre plus jeune âge à travers le langage, les médias, les réseaux sociaux, la politique ou les institutions qui perpétuent le racisme. Tant que nous ne remplacerons pas cet apprentissage par des connaissances antiracistes, ces comportements continueront d'être présents sur les stades de football et en dehors.

Les larmes de Vinicius lors de la conférence de presse symbolisent l'impuissance générée par un problème profond et quotidien tel que le racisme.

Ce sont les larmes de ceux qui, comme le joueur brésilien, voient que les années passent et que les progrès vers une société antiraciste sont plus lents que nous le souhaiterions. Ses expériences sur le terrain sont le reflet d'un problème plus profond et plus répandu que nous ne le pensons.

Toute cette visibilité a amené la population espagnole à parler, à penser, à raisonner, à lire et à écouter des arguments sur la race, une conversation indispensable si nous voulons amorcer une quelconque transformation. Car ce qui n'est pas mentionné n'existe pas.

Mais les larmes de Vinicius ont également mis en lumière les effets du racisme sur la santé mentale. Ses actions en dehors du terrain ont élargi à l'échelle mondiale la conversation urgente et nécessaire sur la lutte contre cette maladie.

Toute cette visibilité a incité la population espagnole à parler, à penser, à raisonner, à lire et à écouter des arguments sur la race, une conversation indispensable si nous voulons amorcer une quelconque transformation. Car ce qui n'est pas nommé n'existe pas.

Mon rêve est qu'à l'avenir, les interviews sur des cas comme celui de Vinicius ne commencent pas par me demander si l'Espagne est un pays raciste ou non.

Mon rêve est de commencer à parler de ce que l'Espagne fait pour être un pays antiraciste. C'est la véritable conversation que nous devrions avoir.

L'auteur, Moha Gerehou, est un journaliste indépendant qui collabore avec la presse écrite, la radio et la télévision. Il est également membre de Conciencia Afro, ancien président de SOS Racismo en Espagne et auteur du livre "Qué hace un negro como tú en un sitio como este" (Que fait un Noir comme toi dans un endroit comme celui-ci ?).

Avertissement : les opinions exprimées par l'auteur ne reflètent pas nécessairement les opinions, les points de vue et les politiques éditoriales de TRT Afrika.

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