Pendant quatre siècles, l’Empire ottoman a été le gardien des villes saintes de l’islam.
Médine — où le prophète Mahomed a vécu, gouverné et a été inhumé — fut le dernier bastion sacré sous protection ottomane.
La défense de la ville sous le gouverneur ottoman Fahreddin Pacha reste, à ce jour, un témoignage de la profonde loyauté et du dévouement de la nation turque envers l’islam et les lieux saints musulmans.
Né en 1868 à Ruse, dans l’actuelle Bulgarie, Fahreddin Pacha et sa famille s’installèrent à Istanbul lorsqu’il avait dix ans.
Il portait d’abord le prénom Ömer et adopta plus tard le nom de famille « Turkkan » en gravissant les échelons de l’armée ottomane après avoir terminé l’Académie militaire en 1888 puis l’École de défense d’élite en 1891.
Il se distingua pendant les guerres balkaniques et, à la Première Guerre mondiale, commandait le 12e corps à Mossoul.
Son destin, toutefois, allait se sceller non pas sur le front européen mais dans les déserts du Hedjaz.
En 1916, des renseignements révélèrent que le chérif Hussein, alors dirigeant de La Mecque, avait conclu un accord secret avec les Britanniques et préparait un soulèvement.
On savait alors que les Britanniques œuvraient à renverser l’Empire ottoman et avaient promis au chérif un État arabe libre de la domination ottomane.
Fahreddin Pacha fut envoyé à Médine le 28 mai 1916 pour protéger la ville. La révolte éclata quelques jours plus tard : des lignes télégraphiques et des voies ferrées furent sabotées et des forces rebelles attaquèrent des avant-postes ottomans. Mais les défenses du pacha tinrent.
Les 15 000 soldats ottomans de Fahreddin Pacha étaient largement dépassés par la force rebelle de 50 000 hommes, mais il porta l’attaque chez l’ennemi — lançant des contre-attaques rapides et remportant plusieurs engagements.
Avec les lignes de ravitaillement coupées et des tribus bédouines changeant d’allégeance en faveur du chérif Hussein, Médine devint une île de résistance.
La chute de Djeddah, de La Mecque et de Taïf laissa Médine isolée, mais le pacha et ses soldats courageux firent en sorte que la ville sainte reste sous le drapeau ottoman. Les Britanniques le surnommèrent le « Tigre du désert ».
L’espion britannique T. E. Lawrence, plus tard connu sous le nom de Lawrence d’Arabie, dirigea et supervisa des opérations de sabotage le long du chemin de fer qui isolèrent complètement la ville.
Bien que certains habitants aient été trompés et aient pris parti pour les Britanniques, la majorité des tribus demeurèrent fidèles au commandant ottoman.
La défense de Médine — deux ans et sept mois de siège, de famine, de privations et de maladie — devint l’une des dernières résistances héroïques de l’Empire ottoman.
Le pacha alla jusqu’à comparer les criquets à « moineaux sans plumes », afin que ses soldats turcs soient convaincus d’en consommer comme les habitants, par crainte de la famine.
Dévotion et amour pour le prophète
Au-delà de l’endurance militaire, ce qui distingua Fahreddin Pacha à Médine fut sa dévotion spirituelle, sa loyauté et son amour pour le Prophète.
Le professeur Süleyman Beyoğlu, de l’université Yeditepe à Istanbul et auteur du livre Defence of Medina and Fahreddin Pasha, évoque un témoignage exceptionnel de 1919 de Galip Ata Ataç, médecin-chef des hôpitaux de Médine, qui éclaire la profondeur de la vénération de Fahreddin Pacha pour Médine.
« Les soins et la dévotion qu’il a montrés envers le Haram al-Sharif n’avaient peut-être été accordés à personne avant lui, » déclare le professeur Beyoğlu à TRT World, en se référant à l’un des trois lieux les plus saints de l’islam, situé à Médine.
« Sous la garde méticuleuse du pacha, le Haram al-Sharif retrouva un éclat renouvelé, même sur le plan matériel ».
Malgré un commandement exercé en situation de siège, exténué, assiégé et isolé, le pacha ne négligea jamais la sainteté de la Mosquée du Prophète.
« Malgré les immenses fardeaux qui pesaient sur lui, il ne passa pas un seul jour sans qu’il n’ait supervisé le respect dû à la Chambre Sacrée. Chaque fois que la Chambre du Prophète était lavée, Fahreddin Pacha prenait lui-même part au service ».
Cette révérence aboutit à un moment qui est depuis devenu un souvenir iconique pour la nation turque.
« Le dernier jour du siège de Médine, lorsqu’il fut relevé de son commandement, Fahreddin Pacha se rendit une fois encore au Haram al-Sharif… et c’est de là qu’il fut emmené de force ».
Le professeur Beyoğlu souligne que la défense de Médine n’était pas simplement une bataille pour le gouverneur ottoman : c’était un mandat sacré pour le pacha, qui refusa d’accorder aux Britanniques l’accès à la terre sainte et au tombeau du Prophète.
Refus de se rendre
Même après la signature de l’armistice de Mudros le 30 octobre 1918, qui ordonnait la reddition de toutes les garnisons ottomanes, Fahreddin Pacha refusa de se rendre.
Le pacha continua de défendre la ville pendant encore 72 jours. Il fut finalement arrêté le 10 janvier 1919 et exilé par les Britanniques d’abord en Égypte, puis à Malte pendant deux ans, où il refusa d’enlever son uniforme militaire ottoman.
Un tribunal le condamna à mort, mais la pression diplomatique turque obtint sa libération en avril 1921.
Un héritage gravé d’honneur
Après avoir assisté à des réunions politiques à Moscou, Fahreddin Pacha retourna en Turquie pendant la lutte nationale turque.
Le 9 novembre 1921, l’Assemblée nationale de Turquie le nomma ambassadeur à Kaboul. Il joua un rôle clé dans le renforcement des relations turco-afghanes avant de prendre sa retraite avec le grade de général de division en 1936.
Il décéda le 22 novembre 1948.
« La défense de Médine par Fahreddin Pacha fut plus qu’une posture militaire. Elle fut l’expression finale des quatre cents ans pendant lesquels l’Empire ottoman fut le gardien des villes saintes — et le reflet de la vénération durable de la nation turque pour le berceau de l’islam, » ajoute le professeur Beyoğlu.
Son nom perdure non seulement dans l’histoire militaire mais aussi dans la mémoire spirituelle d’un peuple.
C’était un commandant qui, même dans les heures les plus sombres de la guerre, servit le tombeau du Prophète et la ville sainte non seulement par l’épée, mais aussi de tout son cœur et de toute son âme.
L’inscription sur sa pierre tombale reflète sa croyance : « défenseur héroïque de Médine ».

























