Par Hafsa Abdiwahab Sheikh
La guerre au Soudan s'est transformée d'une confrontation politique en l'une des pires catastrophes humanitaires et de santé publique au monde, avec des répercussions qui dépassent largement ses frontières.
Le conflit dévastateur entre les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (RSF) a détruit des infrastructures essentielles, paralysé les systèmes de santé et provoqué le déplacement de millions de personnes.
Alors que la famine s'étend, que les hôpitaux s'effondrent et que des communautés entières fuient, il apparaît de plus en plus clairement que la crise est devenue une urgence régionale.
Une diplomatie conduite par l'Afrique, assortie de garanties humanitaires solides, est urgente. Le centre de gravité politique doit rester en Afrique.
Les souffrances humaines sont immenses. Selon le Rapport sur la situation au Soudan de l'UNICEF (janvier 2025), plus de 30 millions de personnes — soit plus de la moitié de la population soudanaise — ont désormais besoin d'une aide humanitaire urgente, et entre 12 et 14 millions ont été déplacées, faisant du Soudan l'une des plus grandes crises de déplacés au monde.
Des familles trouvent refuge dans des bâtiments inachevés, des écoles surpeuplées et des camps improvisés, souvent sans eau potable, avec une hygiène dégradée et un accès à la nourriture en baisse.
Derrière chaque chiffre se cachent des vies brisées : des parents incapables d'assurer les repas, des jeunes privés d'éducation et des communautés dépouillées de la stabilité qui les définissait autrefois.
Des conditions de famine ont déjà émergé dans des parties du Kordofan du Sud et du Darfour, avec Al Fasher comme épicentre.
Selon Mendy Hameda, ancien ambassadeur de paix de l'Union Africaine pour l'Afrique de l'Est, qui supervise actuellement les efforts pour l'ONG soudanaise HRRDS (Hope Relief and Rehabilitation for Disabilities Support), des combats intenses et des bombardements se poursuivent à Al Fasher et dans ses environs.
La ville, longtemps assiégée et désormais effectivement sous la domination des RSF, a vu des camps de déplacés attaqués, des marchés détruits, les approvisionnements alimentaires coupés et des structures sanitaires réduites en ruines.
Des rapports indiquent que des dizaines de milliers de civils ont fui Al Fasher dans un contexte de violence croissante, décrivant des déplacements massifs, des abris détruits et l'effondrement quasi total des services médicaux.
Les mêmes rapports précisent que les travailleurs humanitaires ont alerté sur le fait que la famine se resserre alors que les convois alimentaires n'atteignent pas les populations vulnérables.
L'accès humanitaire reste l'un des défis les plus critiques. Les convois d'aide sont régulièrement attaqués, se voient refuser le passage ou sont bloqués par des restrictions administratives.
Même lorsque les bailleurs débloquent des fonds, l'aide n'atteint souvent pas les personnes qui en ont le plus besoin. Les organisations de secours décrivent des communautés entières isolées pendant des semaines.
À de nombreux endroits, des réseaux de volontaires, des étudiants en médecine et des groupes locaux de la société civile deviennent les premiers intervenants, travaillant presque sans matériel. Leur courage est remarquable, mais leurs moyens sont tragiquement limités.
C'est dans ce contexte qu'une diplomatie menée par l'Afrique devient non seulement importante, mais indispensable. Des instances régionales telles que l'Union africaine (UA) et l'IGAD disposent de la légitimité, de la proximité et de la compréhension contextuelle nécessaires pour jouer un rôle de médiation efficace.
Si des initiatives passées ont permis des pauses humanitaires temporaires, l'aggravation de la crise exige un effort politique beaucoup plus coordonné.
Et surtout, face à une communauté internationale qui semble soit distraite soit réticente à intervenir de manière décisive, le poids de la responsabilité pèse encore davantage sur la leadership africaine.
Tandis que les réfugiés, déplacés internes et civils coincés à Al Fasher font face à la famine et à la violence, le continent ne peut pas attendre des acteurs extérieurs dont les priorités sont ailleurs.
Les institutions africaines doivent agir maintenant, de manière décisive et urgente. Si l'UA et l'IGAD ont tenté de répondre, leurs efforts ont été fragmentés, lents et souvent éclipsés par des démarches diplomatiques parallèles tirant dans différentes directions.
L'UA a publié des déclarations et convoqué des réunions, mais elle n'a pas établi une structure de médiation soutenue et habilitée, capable de contraindre la SAF et les RSF à négocier ou de garantir l'accès humanitaire.
Cette lacune reflète des mécanismes d'application limités et une dépendance excessive à l'égard d'initiatives diplomatiques externes, comme le Quatuor international (Arabie saoudite, États-Unis, Émirats arabes unis et Égypte), qui n'ont pas donné de résultats.
S'appuyant sur une compréhension approfondie des dynamiques politiques et sociales soudanaises, une approche centrée sur l'Afrique doit être plus que symbolique.
Elle exige un mécanisme coordonné reposant sur quatre piliers clés :
1) Une équipe de médiation unifiée UA-IGAD dirigée par un seul envoyé habilité et disposant d'un mandat clair.
2) Une mission régionale de suivi et de vérification pour contrôler les cessez-le-feu et sécuriser les couloirs humanitaires.
3) Une task force humanitaire continentale travaillant directement avec la société civile soudanaise et les intervenants de première ligne.
4) Des briefings réguliers et transparents aux institutions africaines et au grand public pour garantir la reddition de comptes.
Les organisations internationales, en particulier le Conseil de sécurité des Nations Unies, doivent renforcer la direction africaine.
Les acteurs mondiaux doivent fournir un appui logistique pour la distribution de l'aide, un financement soutenu des opérations de secours et une pression diplomatique sur les belligérants.
La communauté internationale doit reconnaître que l'effondrement du Soudan alimentera les pressions migratoires, déstabilisera les frontières et approfondira l'insécurité dans une région déjà confrontée aux conflits et aux chocs climatiques.
La voie à suivre nécessite des mesures concrètes. Des couloirs humanitaires doivent être négociés, appliqués et contrôlés, avec des garanties non négociables pour la protection des civils.
Les hôpitaux, cliniques et entrepôts médicaux doivent être démilitarisés et reconnus comme des espaces humanitaires protégés.
Les axes d'approvisionnement critiques doivent être rouverts sous surveillance transparente pour éviter la diversion de l'aide. Des programmes d'urgence en nutrition et des campagnes de vaccination de masse, notamment pour les enfants déjà présentant des signes de malnutrition aiguë sévère, doivent être prioritaires.
L'inaction aura des conséquences profondes. Les agences d'aide alertent sur des familles sautant des repas pendant des jours, parcourant de longues distances pour accéder à de l'eau non sécurisée et vendant leurs derniers biens pour survivre.
Un effondrement plus profond du Soudan déstabiliserait la région au sens large : intensification des flux migratoires, affaiblissement de la sécurité aux frontières, menace pour les routes commerciales et montée des tensions dans la Corne de l'Afrique et le Sahel.
La stabilité au Soudan n'est pas seulement un impératif humanitaire — c'est une nécessité stratégique.
Le Soudan se tient à un carrefour critique. Sans pression diplomatique immédiate, un accès humanitaire soutenu et une coordination africaine robuste, le pays risque de perdre toute une génération à la faim, aux maladies et à la violence.
Le continent doit diriger et les partenaires mondiaux doivent soutenir — car le centre de gravité politique doit rester en Afrique.
Des millions de Soudanais attendent un leadership qui reconnaisse l'urgence de ce moment et agisse avec la détermination qu'il exige.
L'auteure, Hafsa Abdiwahab Sheikh, est journaliste indépendante et chercheuse spécialisée dans la politique de l'Afrique de l'Est.
Avertissement : Les opinions exprimées par l'auteure ne reflètent pas nécessairement les points de vue, opinions et politiques éditoriales de TRT Afrika.














