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Adieu franc CFA : la naissance d’une monnaie de combat
Après la reconquête de l’or, l’heure de la bataille monétaire a sonné. L’Alliance des États du Sahel (AES) s’apprête à briser le dernier tabou de la postcolonie en abandonnant le franc CFA.
Adieu franc CFA : la naissance d’une monnaie de combat
La décision de Bamako, Ouagadougou et Niamey de s’orienter vers une monnaie commune marque la fin d’une anomalie historique de quatre-vingts ans / TRT Afrika Français
il y a 11 heures

Adossée aux réserves stratégiques et guidée par une volonté de puissance, cette rupture historique ne vise pas seulement l’autonomie financière ; elle ambitionne de transformer une économie de rente en une économie de combat, scellant définitivement la fin de l’influence française en Afrique de l’Ouest.

Le drapeau tricolore a été abaissé sur les bases militaires et les ambassadeurs indésirables ont été priés de quitter le territoire. Les contrats miniers ont été réécrits à l’encre de la souveraineté, comme nous l’avons vu avec la reprise en main de l’or malien. Il restait cependant une dernière chaîne à briser, la plus invisible mais la plus solide de toutes : la chaîne monétaire.

En cette fin d’année 2025, l’Afrique de l’Ouest vit une seconde indépendance. Ce tournant reste toutefois tributaire de la capacité des États concernés à bâtir des institutions monétaires solides et crédibles, capables d’inspirer la confiance des populations et des partenaires. L’Alliance des États du Sahel (AES), forte de sa nouvelle puissance minière, s’apprête à porter l’estocade finale contre le franc CFA. Ce plan d’action froid, chiffré et irréversible dépasse le simple vœu pieux des activistes.

La décision de Bamako, Ouagadougou et Niamey de s’orienter vers une monnaie commune marque la fin d’une anomalie historique de quatre-vingts ans. Elle clôt le chapitre de la « servitude volontaire » pour ouvrir celui de la « responsabilité totale ». Pour la première fois, la monnaie ne sera plus un instrument de stabilité pour les investisseurs étrangers, mais un outil de combat pour le développement endogène.

L’autopsie chiffrée d’un système de rente

Pour comprendre la violence de la rupture en cours, il faut regarder la réalité comptable du franc CFA en face. Ce système, créé en 1945, a imposé la centralisation des réserves de change africaines auprès du Trésor français. L’évolution de ce "dépôt obligatoire" raconte à elle seule l’histoire d’une tutelle persistante.

Ce mécanisme a contraint les États africains à déposer 100 % de leurs réserves au départ, puis 65 % à partir de 1973, pour finalement se stabiliser à 50 % depuis les accords de 2005. En clair, la moitié de la richesse liquide des pays les plus pauvres servait à financer la dette publique d’une puissance européenne.

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Les défenseurs de ce dispositif y voient un gage de stabilité et de crédibilité externe, mais cette « stabilité » s’est souvent construite au prix d’une marge de manœuvre fortement réduite pour les économies sahéliennes. Ces milliards d’euros, dormants dans les comptes d’opérations à Paris, ont privé le Sahel de liquidités vitales pour ses investissements.

Plus grave encore, la parité fixe avec l’Euro a agi comme une camisole de force économique. Elle a rendu les exportations africaines artificiellement chères et les importations européennes compétitives. Ce système a détruit, dans l’œuf, toute tentative d’industrialisation locale, transformant la région en un vaste bazar de produits manufacturés importés.

La transition monétaire du Sahel

Le déclic psychologique définitif ne s’est pas produit dans les livres d’économie, mais sur le terrain, à une date précise. Les sanctions imposées par la CEDEAO et l’UEMOA le 9 janvier 2022 contre le Mali ont agi comme un révélateur brutal pour les dirigeants sahéliens.

La fermeture des frontières et le gel des avoirs maliens auprès de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ont prouvé une terrible vérité. Le système bancaire régional peut être déconnecté à distance pour asphyxier un gouvernement jugé trop souverainiste. La souveraineté politique sans souveraineté monétaire n’est qu’une illusion tragique.

Dès cet instant, la sortie du CFA est devenue une question de sécurité nationale. À condition, bien sûr, que les alternatives envisagées ne reproduisent pas, sous d’autres formes, des dépendances et vulnérabilités similaires à celles dénoncées aujourd’hui. Il ne s’agit plus de débat économique, mais de survie étatique. L’AES a compris qu’elle ne pouvait pas laisser la clé de son coffre-fort dans la poche d’institutions vulnérables aux pressions politiques extérieures.

L’or du Sahel et le défi technique

Les sceptiques demandent souvent quelle garantie cette nouvelle monnaie offre. La réponse se trouve dans le sous-sol de la région, désormais sous contrôle national. L’or de Loulo, l’uranium d’Arlit et le pétrole d’Agadem constituent le « collatéral » le plus solide du monde.

Mais la seule existence de ces ressources ne garantit pas le succès monétaire : tout dépendra de la transparence dans leur gestion et de la capacité à empêcher leur captation par des élites restreintes. Contrairement au franc CFA, garanti par une promesse politique du Trésor français, la monnaie de l’AES sera adossée à une richesse tangible.

Cependant, cette transition comporte d’immenses défis techniques qu’il serait imprudent d’ignorer. La création d’une nouvelle Banque Centrale exige une rigueur absolue pour éviter l’écueil de l’hyperinflation. L’expérience d’autres pays africains confrontés à l’hyperinflation rappelle que la souveraineté monétaire, mal gérée, peut elle aussi devenir un facteur d’instabilité sociale et politique.

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La gestion de la masse monétaire devra être pilotée par des technocrates compétents, capables de résister à la tentation de la « planche à billets » facile. La crédibilité de la future devise, le « Sahel », dépendra de la capacité des États à maintenir une discipline budgétaire stricte sans l’arbitrage de Paris.

Sortir du piège de l’Eco

L’Alliance des États du Sahel a eu l’intelligence stratégique de se détourner du projet « Eco ». Ce projet de monnaie unique de la CEDEAO, maintes fois repoussé, maintient une parité rigide et une dépendance conceptuelle à l’égard des doctrines monétaristes occidentales. Il ressemble trop à un « CFA bis » pour incarner une véritable rupture.

L’AES propose une philosophie monétaire différente, axée sur la flexibilité. Sa future monnaie permettra de financer les déficits nécessaires à la construction d’infrastructures critiques. Elle permettra d’ajuster le taux de change afin de protéger les agriculteurs locaux contre le dumping des produits importés subventionnés.

Une telle flexibilité exigera toutefois des règles claires et des garde-fous institutionnels pour éviter des dévaluations opportunistes et une perte de confiance des populations. Le but n’est pas d’avoir une inflation de 2 % comme dans la zone euro, alors que la jeunesse a besoin d’emplois.

Le but est de fournir du crédit à l’économie réelle. L’enjeu sera de trouver un équilibre entre le financement de l’investissement productif et la stabilité des prix, sans bénéficier de l’arbitrage d’une banque centrale extérieure. Aujourd’hui, un entrepreneur malien emprunte à des taux prohibitifs, souvent supérieurs à 10 %, car la politique monétaire est calquée sur les besoins de l’Europe. La nouvelle monnaie doit briser ce plafond de verre.

Une zone de 72 millions d’âmes

La nouvelle monnaie servira de ciment à la confédération de l’AES. Elle facilitera les échanges commerciaux directs entre Bamako, Ouagadougou et Niamey, sans passer par des conversions coûteuses. Un marché intérieur de 72 millions de consommateurs est en train de naître, unifié par une vision politique commune et, bientôt, par un même instrument d’échange.

Les projets d’infrastructures communes, tels que les raffineries ou les centrales solaires, seront financés par cette devise souveraine. La concrétisation de ces projets dépendra, néanmoins, de la rapidité avec laquelle les trois capitales mettront en place un système de compensation bancaire moderne, fiable et interconnecté.

Cela réduit le risque de change et la dépendance aux prêts en dollars. L’argent créé au Sahel restera au Sahel pour y circuler et y créer de la valeur. C’est la fin du modèle de l’économie de comptoir. La monnaie devient un outil de rétention de la richesse locale et de protectionnisme intelligent.

Le cauchemar de la Françafrique et le réalisme

Cette perspective provoque des sueurs froides à Paris, qui voit s’effriter un levier d’influence majeur. La fin du franc CFA dans la zone AES signifie la perte d’un marché captif pour les entreprises françaises. À court terme, certaines entreprises européennes chercheront probablement à s’adapter à ce nouveau paysage en renégociant leurs partenariats sur une base plus égalitaire.

Les discours alarmistes sur le risque de dévaluation inondent déjà les médias. Bien que le risque de volatilité soit réel à court terme, ces analyses oublient souvent que la Mauritanie ou le Ghana gère sa propre monnaie depuis des décennies. La souveraineté implique un risque que les populations du Sahel semblent prêtes à assumer.

La peur est utilisée pour paralyser l’audace africaine, mais le chantage ne fonctionne plus. Dans le même temps, les dirigeants de l’AES devront démontrer, par des résultats économiques et sociaux tangibles, que cette audace se traduit en amélioration réelle des conditions de vie. Ils parient sur le fait que le coût de la servitude perpétuelle est infiniment plus élevé pour les générations futures.

L’aube d’une souveraineté totale

La naissance de la monnaie de l’AES sera l’acte de décès officiel de la Françafrique. À condition que cette monnaie ne reste pas un symbole, mais devienne un instrument effectivement maîtrisé par des institutions responsables, transparentes et contrôlées par les citoyens.

Elle complétera le triptyque de la souveraineté : défense, diplomatie, économie. Assimi Goïta, Ibrahim Traoré et Abdourahamane Tiani posent les fondations d’une civilisation retrouvée, au-delà de la simple transition politique. Ce processus sera complexe et exigera une vigilance technique à tout moment.

Il y aura des turbulences et des attaques spéculatives contre la nouvelle devise. La manière dont les États de l’AES répondront collectivement à ces chocs sera décisive pour éviter que les frustrations sociales ne soient instrumentalisées contre le projet lui-même.

Dans quelques années, on regardera les billets de franc CFA comme des reliques de musée. Ils témoigneront d’une époque révolue où l’Afrique payait pour avoir le droit d’être pauvre. Si les États du Liptako-Gourma parviennent à assumer ce coût et à construire des mécanismes de solidarité internes robustes, cette monnaie de combat pourra devenir un levier durable de transformation. La monnaie de combat est là, prête à nourrir les enfants du Liptako-Gourma plutôt que la finance internationale.

SOURCE DE L'INFORMATION:TRT Afrika Français