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Manifestations populaires au Maroc : quelles sont les issues possibles ?
La Maroc est secouée par une colère populaire qui s'est rapidement propagées dans les grandes villes et qui illustre une accumulation de frustrations sociales et structurelles de longue date.
Manifestations populaires au Maroc : quelles sont les issues possibles ?
Cette colère populaire exprime une accumulation de frustrations sociales et structurelles de longue date. / Reuters
il y a 9 heures

Par Dr. Halil Kaya

Le Maroc est le théâtre de manifestations de grande ampleur menées principalement par des jeunes, mais soutenues par une grande partie de la société. Le mouvement derrière ces mobilisations s’intitule GenZ-212, un nom inspiré à la fois de la « génération Z » et du code téléphonique international du Maroc (+212).

L’élément déclencheur apparent du mouvement serait le décès de huit femmes dans un hôpital public d’Agadir en une seule semaine, à la suite de césariennes.

Les revendications portent essentiellement sur l’effondrement du système de santé public et les profondes inégalités dans l’éducation.

Cette colère populaire exprime une accumulation de frustrations sociales et structurelles de longue date. Il s’agit du mouvement de contestation le plus large depuis les manifestations de 2016 dans le Rif, au nord du pays.

Ces protestations se sont rapidement propagées dans les grandes villes, mobilisant des citoyens de tous âges, classes sociales et milieux socioéconomiques. Bien que les jeunes soient à l’avant-plan, la mobilisation dépasse largement cette catégorie.

Le défi pour les autorités ne réside pas uniquement dans l’ampleur des manifestations, mais aussi dans leur timing : le Maroc s’apprête à accueillir la Coupe d’Afrique des Nations en 2025 et la Coupe du Monde en 2030. D’importants projets d’infrastructure urbaine sont en cours, mobilisant des budgets colossaux.

C’est précisément ce contraste que dénonce GenZ-212 : comment justifier de tels investissements alors que les inégalités sociales persistent et que les services de santé et d’éducation sont loin de répondre aux besoins fondamentaux de la population ?

L’ampleur de la mobilisation est en grande partie due à l’utilisation active des plateformes numériques telles que TikTok, X (anciennement Twitter), Instagram et Discord.

Si le mouvement reste sans leadership identifié, certains comptes accusent l’Algérie d’être derrière cette agitation, et cela montre clairement la persistance de la rivalité entre Rabat et Alger.

Les manifestations, initialement pacifiques lors de leur déclenchement les 27 et 28 septembre, ont été marquées par des interventions policières violentes. Des images montrant l’arrestation brutale de personnes âgées, d’enfants et de femmes ont provoqué une large indignation sur les réseaux sociaux. À mesure que la répression s’intensifiait, des groupes marginaux ont pris une place plus visible dans les mobilisations.

Face à cette situation, dans un premier temps, le gouvernement reste silencieux avant que le Premier ministre Aziz Akhannouch ne convoque une réunion de crise sous la pression de l’opinion publique.

Le gouvernement a alors affirmé être prêt au dialogue, annonçant des réformes à venir, notamment en matière de santé et d’éducation, dans le cadre du budget 2026, censé mettre en œuvre les directives déjà formulées par la monarchie.

Peu après, les premières pertes humaines ont été enregistrées.

Le mercredi 1er octobre, trois manifestants ont été tués par les forces de sécurité à Lqliaâ, une ville au sud d’Agadir, lors d’affrontements autour d’une gendarmerie.

Les autorités affirment que des protestataires ont tenté de pénétrer dans le bâtiment pour s’emparer d’armes, justifiant l’usage de la force par la légitime défense.

Malgré des versions divergentes, ce drame marque une étape importante : c’est la première fois que des morts sont déplorés depuis le début du mouvement.

Suite à ces événements, GenZ-212 a publié un appel direct au roi Mohammed VI.

Le mouvement y demande notamment la démission du gouvernement dirigé par Aziz Akhannouch (homme d’affaire et un des plus riches personnes dans le pays), la garantie des libertés fondamentales telles que la liberté d’expression et le droit à la manifestation pacifique, la libération des personnes arrêtées dans le cadres des manifestations, ainsi que l’ouverture d’enquêtes judiciaires contre toute personne ou parti politique impliqué dans des affaires de corruption, quelle que soit leur statut.

Les réactions du monde politique et de la société civile ont été diverses.

L’ancien Premier ministre Abdelilah Benkirane, figure de proue du Parti de la Justice et du Développement (PJD), a d’abord mis en garde contre un possible retour du « Printemps arabe » si les revendications n’étaient pas prises au sérieux.

Mais face à la tournure violente prise par des manifestants notamment dans certaines villes, il a ensuite appelé les jeunes à rentrer chez eux, estimant que le mouvement avait dépassé son cadre légitime.

Cette position reflète la volonté du PJD de rester un acteur du système et de ne pas dépasser les lignes rouges fixées par la monarchie.

À l’inverse, les partis de gauche et le mouvement Justice et Bienfaisance (Al-Adl wal-Ihsan) se sont distingués par un soutien clair aux protestataires.

À ce jour, le palais royal n’a émis aucun commentaire officiel. Au Maroc, la monarchie est perçue comme le garant de l’unité nationale et religieuse, et de la stabilité politique.

Même au cœur des manifestations, les slogans comme « vive le roi » témoignent de l’attachement majoritaire du peuple à la monarchie.

Historiquement, dans des contextes similaires, la majorité du peuple marocain critique le gouvernement, très rarement la monarchie.

Le réflexe habituel du palais est de rester en retrait, observer les groupes radicaux, puis intervenir de manière symbolique pour calmer la situation. Un tel scénario semble à nouveau se dessiner.

En définitive, le Maroc, malgré son image de stabilité, traverse une phase de tension sociale réelle.

Les revendications se concentrent sur le gouvernement et restent dans le cadre de réformes internes.

Il est probable qu’une déclaration du roi et quelques gestes forts, limogeages, annonces de réforme, suffiront à apaiser la colère populaire.

Les priorités restent claires : santé, éducation, justice et libertés individuelles, sans oublier bien sûr la lutte contre la corruption et la sanction des corrompus, quelle que soit leur position.

L'auteur, Docteur Halil Kaya – est un professeur de l'Université d’Istanbul, Faculté des Lettres, Études Africaines

Avertissement : Les opinions exprimées par l'auteur ne reflètent pas nécessairement celles de TRT Afrika.

SOURCE DE L'INFORMATION:TRT Afrika Français