Par Pauline Odhiambo
Le bandana autour de la tête de Kwame Adjekum raconte sa propre histoire – imbibé de sueur avant même que la matinée ne soit vraiment entamée.
Dans l’extrême nord du Ghana, où la forte température met à rude épreuve ceux qui travaillent à un ciel ouvert, cet ouvrier du bâtiment ressent l’impact du changement climatique non pas en degrés, mais à travers les maux de tête de plus en plus fréquents causés par la chaleur qui fait très vite sécher le béton.
“Le soleil... ce n'est plus comme avant”, dit Kwame, qui s'arrête un moment pour reprendre son souffle.
“À 10 heures du matin, le sol brûle à travers mes bottes. Vous vous sentez étourdi, et votre vision se brouille. Vous devez faire plus de pauses, mais moins de travail signifie moins de salaire. C'est un choix difficile : votre santé ou votre pain quotidien”, confie-t-il à TRT Afrika.
Ce dilemme est courant sur le continent.
Isatou Jallow mène une bataille similaire contre les éléments de la nature dans les basses terres fertiles de la Gambie.
Les pluies, autrefois prévisibles, sont devenues erratiques. Les températures moyennes ont grimpé régulièrement, transformant ses champs en un terrain d'endurance.
La chaleur est un voleur, elle vole notre énergie, nos récoltes et nos revenus. Vous buvez de l'eau encore et encore, mais cela n'étanche pas votre soif. Vous voyez vos cultures se flétrir sans pouvoir rien y faire.
Année la plus chaude jamais enregistrée
Un nouveau rapport de l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et des recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) reflètent l'ampleur de la crise.
2024 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée dans le monde, avec des températures moyennes dépassant 40 degrés Celsius et atteignant même 50 degrés dans certaines régions.
S'appuyant sur cinq décennies de recherches, le rapport présente le stress thermique non pas comme une menace lointaine, mais comme un danger immédiat.
Le stress thermique nuit déjà à la santé et aux moyens de subsistance de milliards de travailleurs, en particulier dans les communautés les plus vulnérables. Ces nouvelles recommandations offrent des solutions pratiques et fondées sur des preuves pour protéger des vies, réduire les inégalités et renforcer la résilience des travailleurs.
Les conséquences des vagues de chaleur récurrentes vont bien au-delà des risques immédiats pour la santé.
Une exposition prolongée à la chaleur en travaillant à l'extérieur augmente les risques de dysfonctionnement rénal dû à la déshydratation ainsi que de troubles neurologiques.
Le coût économique est tout aussi dévastateur.
Des études ont montré que la productivité des travailleurs diminue de 2 à 3 % pour chaque augmentation de température au-delà de 20 degrés Celsius, ce qui peut être catastrophique pour les familles dépendant de salaires journaliers.
Établir une carte thermique
Les recommandations de l'OMS et de l'OMM préconisent des plans d'action professionnels complets à mettre en œuvre grâce à une collaboration entre employeurs, travailleurs, syndicats et experts en santé.
Elles ciblent plusieurs fronts. Les politiques doivent tenir compte des conditions météorologiques locales, des exigences spécifiques des emplois et des vulnérabilités des travailleurs.
Elles suggèrent également de donner la priorité aux personnes les plus à risque – les travailleurs d'âge moyen et plus âgés, les individus souffrant de maladies chroniques et ceux ayant une condition physique ou des revenus plus faibles.
Des initiatives éducatives doivent garantir que les symptômes du stress thermique soient correctement reconnus et traités par les premiers intervenants, les professionnels de santé, les employeurs et les travailleurs eux-mêmes.
Le rapport suggère que l'innovation technologique et les principes de conception durable pourraient offrir des solutions pratiques et abordables à grande échelle. Ko Barrett, secrétaire général adjoint de l'OMM signale :
Protéger les travailleurs contre la chaleur extrême n'est pas seulement une nécessité sanitaire, mais aussi une nécessité économique.
L'urgence devient plus claire lorsqu'on considère les conclusions de l'Organisation internationale du travail.
Plus de 2,4 milliards de travailleurs dans le monde sont régulièrement exposés à une chaleur excessive, entraînant près de 23 millions de blessures professionnelles chaque année.
Le prix du retard
Pour ceux qui subissent de plein fouet la montée des températures, les statistiques citées dans les recommandations représentent leur lutte quotidienne pour la survie et la dignité.
“Nous avons besoin d'ombre, d'eau propre et d'employeurs qui reconnaissent les dangers auxquels nous sommes confrontés”, plaide Kwame.
Isatou confie à TRT Afrika que la résilience communautaire a ses limites.
Nous sommes des gens forts, mais nous ne pouvons pas lutter seuls. Nous avons besoin de soutien pour nous adapter à un climat anormal et trouver des moyens de travailler qui ne mettent pas nos vies en danger.
Kwame et Isatou font partie d'un chœur croissant à travers le monde exigeant une protection pour les travailleurs qui bâtissent et nourrissent le monde par leur labeur.
Avec des températures moyennes qui devraient encore augmenter dans le cadre du cycle du changement climatique, les experts estiment que protéger la santé et les moyens de subsistance des travailleurs est passé d'une préférence politique à une nécessité pour la survie de l'humanité et la stabilité économique.