Le 11 novembre 1975, l’Angola brisait les chaînes de plus de cinq siècles de domination portugaise pour écrire sa propre histoire. Cinq décennies plus tard, le pays a commémoré mardi son accession à l’indépendance, marqué par un parcours à la fois héroïque et contrasté : une guerre civile longue de 27 ans, suivie d’un ambitieux programme de reconstruction nationale.
Aujourd’hui, l’Angola veut se raconter autrement : non plus seulement comme une nation sortie du conflit, mais comme une économie en transformation, une puissance régionale émergente, tournée vers l’avenir.
De la guerre à la reconstruction
L’Angola revient d’un passé très difficile : après l’indépendance en 1975, le pays a été marqué par une guerre civile prolongée qui a ravagé ses infrastructures et freiné sérieusement son développement économique.
« Le 11 novembre 1975 n'a pas été seulement un moment où l'on a hissé le drapeau ou chanté l'hymne national. Ce fut le tournant d'une page, la fin de 500 ans de colonisation et de domination fasciste, l'aboutissement de longues et difficiles années de lutte qui ont coûté des sacrifices, de la sueur, du sang et même la vie à des milliers d'Angolais » explique José Gonçalves Martins Patrício, ambassadeur de l'Angola en Türkiye, rendant hommage au père de l’indépendance, Agostinho Neto et ses compagnons.
C'est au plus fort de la guerre froide, dans un monde divisé en deux blocs antagonistes, que le jeune Etat allait devoir se lever et s'affirmer.
La vision stratégique du successeur de Neto, José Eduardo dos Santos était que, une fois les facteurs extérieurs écartés, les conditions seraient réunies pour que les frères belligérants (le MPLA, Le FNLA et l’UNITA) s'assoient autour d'une table et mettent fin au conflit meurtrier et destructeur.
Cette stratégie a porté ses fruits en 2002. Les armes se sont tues, les frères ennemis se sont réconciliés et le pays a entamé un processus exigeant et complexe de réconciliation et de reconstruction nationale.
« La paix est devenue un héritage national et il incombait à tous les Angolais de la préserver sans hésitation, car elle constituait le fondement de la réconciliation et de la réhabilitation de la nation dans toutes ses dimensions », déclare le diplomate à TRT Afrika.
« Nous étions conscients qu'une nouvelle phase commençait, une phase longue et exigeante à tous égards. Nous devions construire collectivement notre avenir commun, un avenir pluraliste fondé sur un dialogue constructif, le respect mutuel et la cohésion nationale » a –t-il ajouté.
L'héritage colonial était lourd, avec des déficits importants dans tous les secteurs de la vie des citoyens.
Comme dans d'autres processus de décolonisation, de nombreux citoyens portugais ont quitté le pays et, à l'époque, les autorités ont constaté que l'Angola comptait 6,5 millions d'habitants et seulement 19 médecins, une grave pénurie d'infirmières et de spécialistes.
85 % de la population était analphabète et le pays ne comptait qu'une seule université, qui accueillait 4 176 étudiants, dont plus de 95 % étaient des enfants issus d'une frange privilégiée de la population portugaise.
Le « miracle » angolais : entre pétrole et promesses
Durant les années 2000, l’Angola a connu des taux de croissance spectaculaires, atteignant parfois plus de 15 % par an, alimentés par la manne pétrolière. Luanda s’est hissé au rang des capitales les plus dynamiques d’Afrique, symbolisant un « miracle économique » qui attirait investisseurs et convoitises.
Dix ans plus tard, c’est la fin des années glorieuses. Dans les années 2010, la chute des cours du pétrole et la baisse de la production ont entraîné une période de récession prolongée (entre 2016 et 2020) : la croissance du PIB était quasiment nulle, voire négative pour certains secteurs, selon la Banque Africaine de Développement. Cette phase souligne combien l’Angola partait de loin, en dépit de ses abondantes ressources naturelles.
Malgré cette base fragilisée, le pays a amorcé un redressement surprenant : le PIB réel a augmenté de 4,4 % en 2024, contre seulement 1,1 % en 2023, selon la même source. En parallèle, la part de l’agriculture et des pêches dans l’économie est passée de 6,2 % en 2010 à 14,9 % en 2023, illustrant la volonté de sortir de la dépendance exclusive aux hydrocarbures.
Au-delà de ses succès, l’Angola fait face à plusieurs défis cruciaux pour son prochain demi-siècle :
-Le pays devra redresser son économie pour sortir de la dépendance pétrolière. En 2023-24, le pétrole représentait encore environ 28,9 % du PIB et près de 95 % des exportations.
-De plus, le redémarrage ne garantit pas pour autant une création d’emplois formels massive ni une réduction rapide des inégalités. L’Angola doit maintenant transformer cette « croissance » en un développement inclusif et durable. Le chômage des jeunes dépasse 25 %, selon la Banque mondiale.
Le défi des années à venir est donc clair : diversifier.
Le gouvernement angolais s’emploie à stimuler l’agriculture, l’industrie, les mines et les énergies renouvelables pour bâtir un modèle de croissance plus inclusif et résilient.
Un succès manifeste
Dans son dernier discours sur l'état de la nation devant l'Assemblée nationale, le président João Lourenço a dressé le bilan des principaux accomplissements et succès des cinquante années d'indépendance.
Le programme national de reconstruction a permis de réhabiliter les infrastructures détruites par la guerre et d'en construire de nouvelles, plus modernes, qui permettent aujourd'hui la libre circulation des personnes et des biens.
Outre les infrastructures de communication, les secteurs de la santé, de l'éducation et du logement ont connu une transformation majeure.
Dix millions de citoyens fréquentent le système éducatif, dont 330 000 dans l'enseignement supérieur, au sein de 106 établissements d'enseignement supérieur, contre un seul établissement en 1975.
En 2024, dans le seul système d'enseignement public, 7 715 médecins auront été formés, auxquels s'ajouteront des centaines de médecins et autres professionnels de santé en formation à l'étranger, notamment en Türkiye qui accueille des étudiants angolais.
On estime que, dans un avenir proche, le pays comptera 38 000 professionnels de santé.Il existe actuellement 3 544 établissements de santé, dont 2 500 centres de soins primaires, garantissant des soins de proximité.
L’essor d’une diplomatie économique ouverte
Sous la présidence de João Lourenço, l’Angola s’est engagé dans une politique d’ouverture, cherchant à attirer des partenaires économiques et technologiques nouveaux. C’est dans ce contexte qu’émerge une coopération prometteuse : l’alliance Ankara–Luanda.
« Le chemin est long et, bien évidemment, nous ne le parcourons pas seuls », a affirmé M. Patricio.
Face à l’hésitation de certains pays occidentaux, l’Angola s’est tourné vers d’autres partenaires tels que la Chine, le Brésil et la Türkiye.
« Nous avons bénéficié et continuons de compter sur le soutien et la coopération de tous les pays présents ici, que ce soit dans le domaine de la remise en état, de l'expansion et de la modernisation des infrastructures, de la formation de la relève ou du défi que nous nous sommes lancé : diversifier notre économie en nous appuyant sur l'exploitation durable des diverses ressources que la nature nous offre, afin de développer le pays », explique-t-il.
Le pays s'est ouvert au monde et a diversifié sa coopération, avec la garantie d'avantages réciproques.
« Le moment est venu de se tourner vers l'avenir. L'économie angolaise demeure ouverte aux investissements. Les opportunités d'affaires sont bien réelles dans tous les secteurs ».
L'environnement des affaires a été constamment amélioré afin de le rendre plus attractif, plus transparent et conforme aux intérêts nationaux et des investisseurs, en leur offrant une plus grande sécurité juridique et de meilleures garanties de retour sur investissement.
« La situation géostratégique du pays nous permet de devenir un pôle sous-régional et nous offre la possibilité de contribuer de manière significative à l'économie continentale », suggèreM. Gonçalves.
Angola–Türkiye : un partenariat stratégique pour un développement partagé
Les relations entre la Türkiye et l’Angola connaissent depuis quelques années une véritable accélération. Ankara a reconnu l’indépendance de l’Angola dès 1975, mais c’est à partir de 2021 que les liens économiques et politiques se sont intensifiés.
"La Türkiye et l’Angola ont développé une relation bilatérale basée sur le principe du respect mutuel. Nous considérons l’Angola comme un partenaire important et proche. Notre approche est un partenariat basé sur l’équité, la solidarité et le partage de bénéfice", souligne le vice-ministre turc des Affaires étrangères, Musa Kulaklıkaya.
Les visites d’État réciproques ont débouché sur plusieurs accords bilatéraux dans les domaines de l’énergie et les mines, de l’agriculture, des infrastructures, de la construction et la sidérurgie, de l’éducation et la formation technique.
Le volume du commerce bilatéral a franchi les 130 millions USD en 2024, indique M. Kulaklıkaya, ajoutant que ce chiffre ne reflète pas le potentiel réel de ce partenariat. La Türkiye et l’Angola ambitionnent de porter le volume de leurs échanges à 500 millions USD d’ici 2030. Des entreprises turques, telles que Tosyali Holding, investissent déjà dans des complexes sidérurgiques et des projets logistiques en Angola.
"Nous continuerons à être aux côtés de l’Angola dans son chemin de développement", déclarait récemment le président Recep Tayyip Erdoğan, soulignant l’importance du partenariat afro-turc.
Pour Ankara, l’Angola représente un marché stratégique dans la façade atlantique de l’Afrique.Pour Luanda, la Türkiye est un modèle de développement industriel rapide, une alternative crédible à ses partenaires traditionnels.
En juillet dernier, la Commission mixte bilatérale s'est réunie et, outre l'évaluation de l'état des liens, a identifié de nouveaux domaines de coopération entre les deux pays.
"En Türkiye, nous avons constaté un fort potentiel et la présence d'entreprises performantes en termes de technologie, de savoir-faire, de capacité de mise en œuvre et de solidité financière"
"En Türkiye, nous avons constaté un fort potentiel et la présence d'entreprises performantes en termes de technologie, de savoir-faire, de capacité de mise en œuvre et de solidité financière", confie l’ambassadeur angolais à TRT Afrika.
Il note que les trois vols directs hebdomadaires entre Istanbul et Luanda, et vice-versa, facilitent grandement la dynamique que Luanda recherche, à savoir un accroissement des investissements des entreprises turques en Angola et une intensification des échanges commerciaux entre les deux pays.
Un anniversaire tourné vers l’avenir
Cinquante ans après son indépendance, l’Angola se trouve à un carrefour historique. Fort de ses ressources naturelles, de sa jeunesse dynamique et d’un réseau de partenariats en expansion - dont la Türkiye-, le pays peut transformer ses défis en opportunités.
Les 50 ans d’indépendance ne sont pas une simple commémoration du passé, mais un appel à bâtir un futur souverain, diversifié et durable, à l’image d’une Afrique en mouvement.
















