Déjà veuve, Maya est mariée de force pour une 2e fois
SOCIÉTÉ ET CULTURE
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Déjà veuve, Maya est mariée de force pour une 2e foisMaya est une jeune mère qui a perdu son premier mari il y a deux ans. Afin de subvenir à ses besoins et à ceux de ses deux garçonnets, elle travaille comme maîtresse de maison à Dakar. Elle a découvert qu'elle a été remariée à un ami de son père.
Le mariage d'enfants désigne toute union entre un enfant de moins de 18 ans et un adulte ou un autre enfant (Photo d’illustration :UNICEF)
il y a 3 heures

L’histoire de Maya pourrait être comparée à tout sauf à un conte de fées, du moins pas à ce stade.

À seulement 30 ans, la jeune fille est veuve et mère de deux enfants. Mais ce n’est pas tout, Maya vient d’être mariée de force pour la deuxième fois et à son insu.

Son nouveau statut de "femme mariée" c’est alors qu’elle prenait quelques jours de congés pour passer la fête de la Tabaski avec sa famille d'accueil dans la banlieue de Dakar qu'elle l’a découvert.

L’homme avec qui la jeune mère doit construire un foyer est Mamadou B, un ami de son père qui vit en Casamance au sud du Sénégal. Mamadou B exige depuis que son épouse le rejoigne.

Pour Maya qui est installée à Dakar, la capitale sénégalaise où elle travaille comme maîtresse de maison, ce schéma est en quelque sorte une répétition.

Son précédent époux, aujourd'hui décédé, était également une connaissance de son père.

Son défunt mari était aussi de la même génération que le père de Maya, qui est âgé d'une soixantaine d’années.

"Pour mon premier mariage forcé, 14 ans plus tôt, je n'avais pas pu faire autre chose que me soumettre au choix de mon père qui a toujours pris toutes les grandes décisions de la famille, bonnes ou mauvaises",confie Maya la mine serrée.

Pour cette fois, la jeune mère espère pouvoir faire entendre sa voix et faire revenir son père sur sa décision. Maya dit avoir encore besoin de temps pour élever ses deux garçons et, surtout, pour se reconstruire.

En ouvrant son cœur aux quelques confidents qui la soutiennent depuis son adolescence, Maya déclare pourtant avoir toujours aimé vivre avec son père et sa mère dans sa Casamance natale malgré une enfance marquée par la précarité.

Elle dit avoir toujours apprécié les besognes que sa mère lui confiait afin de jouer son rôle dans la maison.

S’agissant de ses études, Maya n'est pas allée au-delà du cycle primaire faute de moyens. Néanmoins, elle souligne avoir toujours aimé son enfance jusqu'à ce que tout bascule avec son mariage alors qu’elle sortait à peine de l’adolescence.

Lorsqu'il lui est demandé de parler de ses 10 années de mariage, dans une forme de pudeur et de respect pour la mémoire du père de ses deux enfants, Maya se mure dans un long silence.

Par rapport au deuxième mariage qui a été ficelé à son issue en Casamance en revanche, Maya promet de faire le maximum pour convaincre son père de l’annuler.

Les mariages forcés en Afrique

Des histoires similaires à celle de Maya, il y en a encore des millions en Afrique alors même que les législations nationales et de hautes juridictions panafricaines condamnent les mariages forcés.

Parmi les données qui ont le plus interpellé récemment, il ya celles collectées au Soudan du Sud.

Un rapport des Nations Unies sur la pratique souligne que 4 millions de filles ont été victimes de mariages précoces ou forcés en 2022, soit une augmentation par rapport aux 2,7 millions de 2021.

Au-delà du Soudan du Sud, les mariages forcés ont été estimés dans le monde à 60 millions en 2022 par Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).

L’ONG de préciser que les régions où la pratique s’observe le plus sont l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.

Des pays comme le Gabon, le Congo, la Gambie ou encore le Burkina Faso sont cités tout autant que le Nigeria.

Le Tchad ou la Sierra Leone allongent un peu plus la longue liste qui renseigne sur l'ampleur du fléau.

Et, comme l’évoquait Maya en décrivant son enfance, l'une des principales raisons qui poussent aux mariages forcés est économique.

Les spécialistes locaux et internationaux sont formels, c'est souvent pour échapper à une certaine précarité que certains parents marient leurs enfants.

Invitée à se prononcer sur la question des mariages forcés en Afrique, la sociologue Sely BA du Sénégal soutient qu'une fille sur cinq est mariée de force dans les pays en voie de développement.

La sociologue précise qu’il s’agit “de filles mariées avant l’âge de 18 ans. Et, selon elle, ces mariages de filles mineures sont dus à la pauvreté de certaines familles.’’

En plus des questions liées à l'économie, Sely BA pointe des considérations culturelles et ethniques.

Selon ses études axées sur le cas du Sénégal, "les taux de mariages forcés sont trois fois plus élevés en zone rurale qu’en zone urbaine."

Sely BA ajoute que ‘'ces mariages représentent 42,8 pour cent en zone rurale et 14,3 pour cent en zone urbaine. Et, la plus grande partie des mariages en zone rurale est constatée au sud dans des localités comme Kolda’’

Autres raisons présentées : les dogmes anciens.

La liste des raisons de ces mariages forcés, qui n’est pas exhaustive, comprend un élément de plus en plus mentionné par l’UNICEF, à savoir les changements climatiques, notamment la sécheresse.

« Nous constatons des taux alarmants de mariages d’enfants et de mutilations génitales féminines dans toute la Corne de l’Afrique, certaines familles démunies s’arrangeant pour marier des filles d’à peine douze ans à des hommes cinq fois plus âgés qu’elles », a insisté Andy Brooks, Conseiller régional de l’UNICEF pour la protection de l’enfance en Afrique orientale et australe dans un rapport de l’ONG en 2022.

Les lois en vigueur, mais peu respectées

La réalité décrite par l’UNICEF inquiète la sociologue Sely BA qui crie au non-respect des législations africaines. 

’’Oui, il existe dans la plupart des pays africains une législation qui interdit les mariages forcés et au-delà des lois locales, il y a le protocole à la Charte Africaines des droits de l’homme relatif aux droits des femmes de Maputo qui a été ratifié en 2021 par la quasi-totalité des pays africains. Ce texte milite aux côtés de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, dans son article 21, alinéa 2 et qui date de 1998.  Les deux textes supranationaux condamnent et interdisent les mariages forcés.’’.

La sociologue estime en fait , que tous les acteurs de la société doivent œuvrer à l’application et au respect des textes avant tout pour le bien-être des jeunes filles.

Ba argumente sa thèse en faisant mention des grossesses précoces et des complications liées à certains accouchements qui causent la mort de plusieurs jeunes filles.

En effet, selon l’ONG Plan International, "près de 16 millions de filles âgées de 15 à 19 ans mettent au monde des enfants chaque année.”

70. 000 adolescentes, par an, meurent des suites de complications de la grossesse et de l’accouchement. Parmi les causes de grossesses précoces et d'accouchements avec complication, l’ONG recense les mariages forcés.

Comme Sely BA y a fait allusion, les lois sont en effet les leviers sur lesquels la plupart des élus et acteurs de la société civile veulent s'appuyer pour lutter contre les mariages forcés et stopper ces nombreux décès.

Au Congo, le député Exaucé Ngambila Ibam affirme que la question est traitée avec beaucoup de sérieux par les autorités. Selon le député, les mariages forcés sont classés dans le registre des violences faites aux femmes.

‘'La femme est vie et la femme donne vie'', a soutenu le député congolais qui a tenu, dans un premier temps, à reconnaître l’importance de la femme dans la société congolaise et dans le monde.

Exaucé Ngambila Ibam affirme qu'au Congo une loi a été créée, la loi MOUEBARA portant lutte contre les violences faites aux femmes. En ses articles 4, 19, 20 et 66, la loi définit ce que c’est qu'une violence physique, morale et culturelle, sociale et cette loi sanctionne toutes ces formes de violences.’’

Afin de lier sans ambiguïté la notion de violence faite aux femmes aux mariages forcés au Congo, le député a repris mot pour mot ce que dit la législation congolaise, notamment l’article 20 de cette loi : "On situe une violence sociale, l'expression des relations codifiées et institutionnelles au sein de l'espace social qui exerce sous la forme une pression ou une contrainte sociale." ‘’Là aussi, vous convenez avec moi que le mariage forcé est une contrainte sociale'', conclut Exaucé Ngambila Ibam.

Pour le député, dans son pays, l'État s’est engagé à neutraliser "toute personne qui se hasarderait à aller vers ce genre de pratique rétrograde concernant les femmes. Elle fera face à la loi qui n'épargne personne".

Que l’on se trouve au Tchad ou au Burkina Faso, au Sénégal ou au Congo, il paraît donc clair que les législations nationales ou supranationales condamnent tous les mariages forcés, pour des questions liées aux droits humains ou pour des raisons strictement liées à la santé et la sécurité des jeunes filles.

Pour la plupart, les sociologues, les anthropologues, les médecins et même les élus interpellés sur cette question, invitent les autorités et l'ensemble des acteurs concernés à renforcer la sensibilisation à l’endroit des populations et à veiller, dans le même temps, à ce que toutes les lois déjà adoptées soient appliquées.

Pour sa part, Maya a finalement quitté son emploi à Dakar sous la pression de ses proches pour rejoindre son nouveau foyer dans lequel elle est 3ᵉ épouse.