Par Isaac Bagaya
Dans un pays aussi diversifié linguistiquement que l’Ouganda, où plus de 40 langues sont parlées à travers le territoire, le choix de la langue à promouvoir peut être déterminant pour son avenir.
Pourtant, le candidat à la présidentielle de 2026, Mubarak Munyagwa, a suscité la controverse en proposant de retirer le swahili de la liste des langues nationales et de le remplacer par le français.
Sa promesse, présentée comme une étape vers la modernisation, ignore la culture et porte atteinte au patrimoine ougandais ainsi qu’à son rôle économique au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC).
Pour l’Ouganda, situé au cœur de la coopération régionale, le swahili n’est pas seulement une langue ; c’est une passerelle vers le progrès économique et la paix, rendant l’attrait du français bien moins pertinent en comparaison.
Économiquement, le swahili est indispensable.
L’Ouganda, stratégiquement placé dans une économie est-africaine en plein essor, est profondément intégré à l’EAC, qui comprend le Kenya, la Tanzanie, le Rwanda, le Burundi et la République démocratique du Congo.
Langue véhiculaire de la région
Langue véhiculaire de la région, le swahili est parlé par plus de 200 millions de personnes.
C’est la langue des marchés animés de Nairobi, des accords diplomatiques à Arusha et des zones de commerce transfrontalières qui soutiennent les exportations ougandaises de café, d’or et de produits agricoles.
La maîtrise du swahili ne facilite pas seulement le commerce ; elle ouvre également des opportunités en matière d’investissements, de tourisme et d’emplois.
Les efforts de l’Ouganda pour introduire le swahili dans les écoles depuis 1992 reflètent cette importance, bien que des résistances aient persisté jusqu’à récemment, lorsque l’abandon de cette langue signifierait l’isolement.
En revanche, le français a peu d’influence pratique dans cette région.
Bien qu’il soit une langue officielle dans les forums internationaux et dans certaines parties de l’Afrique centrale, comme la RDC et le Rwanda, sa valeur quotidienne dans le commerce est-africain est négligeable.
Le passé colonial de l’Ouganda est britannique, non français ; l’anglais sert déjà de passerelle mondiale.
Imposer le français aux Ougandais les éloignerait plutôt que de les unir, les obligeant à apprendre une langue déconnectée de leur vie quotidienne et de leurs voisins.
Le swahili, enraciné dans les langues bantoues parlées par des millions de personnes en Ouganda – du luganda au runyankole – est bien plus intuitif, s’appuyant sur un vocabulaire et une grammaire que les locaux comprennent facilement.
Ce n’est pas un hasard si le swahili prospère dans des districts ougandais comme Kiryandongo, où il est une langue maternelle, ou aux frontières comme Bwera, où il semble naturel.
Au-delà du commerce, le swahili tisse le tissu culturel de l’Afrique de l’Est.
Ce ne sont pas seulement des mots ; c’est un vecteur d’histoires partagées, de musique et d’art qui transcendent les frontières nationales.
Vecteur d’unification
Des poèmes de Shaaban Robert aux rythmes du Bongo Flava, le swahili enrichit la diversité culturelle de l’Ouganda, favorisant le tourisme et la cohésion sociale.
Dans un pays divisé par des lignes de faille ethniques, le swahili unit les tribus et les régions.
Même le président Yoweri Museveni l’a soutenu, décrivant son potentiel comme « une langue internationale très puissante » pour l’EAC.
Le mettre de côté au profit du français détruirait cette identité partagée, isolant l’Ouganda à un moment où la coopération régionale est essentielle.
Bien que l’EAC reconnaisse le swahili comme langue officielle aux côtés de l’anglais et du français, privilégier le français au détriment du swahili risque de marginaliser l’Ouganda.
Le français peut ouvrir des portes à Paris ou Bruxelles, mais le swahili est la clé de Dar es Salaam et de l’est de Kinshasa, où il règne en maître.
La connectivité mondiale est importante, mais la pertinence régionale est primordiale. Le swahili permet aux Ougandais d’accéder à des emplois dans l’agro-industrie des Grands Lacs, aux missions de maintien de la paix où il est la langue véhiculaire, ou au commerce intra-africain florissant dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine.
La proposition de Munyagwa n’est pas seulement impraticable ; c’est un pas en arrière.
L’Ouganda a longtemps eu du mal à pleinement adopter le swahili en raison des liens historiques avec les régimes passés, mais les réformes récentes des programmes scolaires montrent des progrès prometteurs.
Abandonner le swahili maintenant serait gâcher des décennies de progrès, isoler la nation et freiner sa croissance économique.
Les décideurs feraient mieux d’investir dans la formation des enseignants et la promotion des médias pour encourager la maîtrise du swahili.
L'âme d'un peuple
Comme l’a affirmé la Première ministre Robinah Nabbanja, le swahili « est très important pour créer un sentiment d’unité en Afrique de l’Est ».
En conclusion, la langue n’est pas une question triviale – c’est l’âme d’un peuple.
En privilégiant le français au détriment du swahili, Munyagwa risque de troquer l’âme de l’Ouganda et de l’Afrique de l’Est pour une façade internationale creuse.
C’est une trahison de notre culture, de nos voisins et de notre avenir. L’Ouganda mérite des dirigeants qui défendent une langue de progrès ; et cette langue est le swahili, pas le français.
L’auteur, Isaac Bagaya, est enseignant de langue swahilie en Ouganda.
Avertissement : Les opinions exprimées par l’auteur ne reflètent pas nécessairement celles de TRT Afrika.